Conte des mains
Petit conte des mains qui voulaient leur liberté.
Il était une fois… mes deux mains un peu vieilles et ridées...
Avez-vous remarqué que nos mains, toutes jeunes déjà, ne sont pas très obéissantes ? Elles veulent toucher à tout dès que nous sommes hauts comme trois pommes et que nous avons acquis l’autonomie suffisante pour attraper un objet. Elles se font bien souvent gronder. « Ne touche pas ! »
Puis, on les éduque, elles s’affinent, elles prennent du doigté. Elles écrivent, colorient, construisent, empilent, dessinent, tiennent un couvert, enfilent les vêtements, ferment les boutons. Les mains sont sages !
Quelquefois, elles se révoltent, cassent, déchirent, tapent. Il est bien difficile de les dresser.
Mes deux mains vieilles et ridées ont elles aussi été petites. Etaient-elles de jolies « menottes » ? Non, pas de beauté particulière. D’aussi loin que je me souvienne, elles étaient déjà grandes, trop grandes, avec des très longs doigts aux phalanges bien marquées. Lorsque je voulais leur faire plaisir, je disais « mains de musicienne » pour les excuser de ce manque d’élégance. En colère, elles se mettaient en boule, poings fermés. Elles trépignaient, serrées, fâchées.
Mes deux mains sont devenues grandes, toujours grandes, trop grandes, un peu plus larges. Et elles ont appris la musique. Elles écrivent, d’une petite écriture appliquée, avec des lettres bien formées entre les lignes d’un cahier. Elles bricolent, découpent, peignent, vissent, réparent. Elles savent cuisiner, tailler, ciseler, tourner dans les marmites. Espiègles, elles plongent toujours un doigt pour goûter les plats. Mes deux mains vieilles et ridées ont toujours pris le temps de cajoler les enfants, de les consoler, de leur raconter des histoires qui embellissent les rêves.
L’hiver, je les protège, bien au chaud dans mes poches pour qu’elles patientent. Et dès que la douceur revient, elles filent au jardin afin de semer, désherber, couper, planter. Mais elles sont devenues plus attentives, délicates, contemplatives. Elles prennent leur temps, apprécient, savourent.
Mes deux mains vieilles et ridées sont maintenant moins agiles lorsqu’elles courent sur les touches, leur musique est plus lente.
De plus en plus souvent, elles prennent des libertés.
De leur paume bat un cœur énorme jusqu’au bout des ongles.
Elles se posent sur les fleurs pour en saisir la beauté de la nature. Elles se posent sur les arbres pour en capter la force de l’univers.
Elles se posent sur les pieds pour déceler en chacun la grandeur de l’humanité.