La rose et le pissenlit.
Une jolie rose pâle se prélasse au soleil. Elle frissonne dans la fraîcheur matinale, une goutte d’eau dégringole le long de son bustier vert.
A ses pieds, dans l’herbe, un pissenlit secoue ses pétales humides dans la brise.
Soudain, la rose l’apostrophe d’un ton peu aimable :
« Eh, le nain jaune, cesse de m’éclabousser ! »
Il regarde autour de lui, surpris. Des brins d’herbes tendres, quelques trèfles débonnaires, et des boutons d’or souriants…Qui parle, et est-ce bien à lui que cette requête s’adresse ?
La rose l’interpelle à nouveau.
« Lève la tête quand je te parle ! Je suis noble moi, je ne vis pas au ras des pâquerettes ! »
Le pissenlit ouvre ses grands yeux bordés de longs cils et découvre la petite rose au regard courroucé. Il répond gentiment :
« Bonjour mademoiselle la rose, excuse-moi. Mais tu sais, un peu d’eau à ton pied ne peut que te faire du bien et te désaltérer. »
« Comment oses-tu ? Sais-tu à qui tu t’adresses ? »
« Oui, à une fleur comme moi. Bien que tu ne sois pas de la même couleur nous appartenons tous les deux à la flore terrestre. »
« Tu ne vas quand même pas nous comparer, moi je suis de sève royale ! »
« Ok la princesse. Ne t’énerve pas ainsi. Cela ne t’autorise pas à me parler sur ce ton. Et en fait qu’aurais-tu de mieux que moi ? »
La question décontenance un peu la rose, mais elle reprend son aplomb :
« Tu ne vois pas que tu vis par terre ? »
« Malgré cela les tiges de mes fleurs sont bien dressées et j'illumine la pelouse. »
Méprisante, la rose continue :
« Tu es ratiboisé dès que la tondeuse arrive. Et même les enfants te piétinent. »
Le pissenlit esquisse un sourire.
« C’est vrai. Les enfants sont bien mignons avec moi et ils aiment me cueillir. Avec toi, c’est moins agréable, ils se piquent sur tes épines agressives. »
« Tu as vu comme tu es hirsute lorsque tes pétales vieillissent, et tu blanchis. »
« Je deviens duveteux, et petits et grands soufflent sur mes plumes légères qui flottent au gré du vent. Je suis capable de me ressemer très loin. Et mes feuilles sont délicieuses en salade. »
« Une salade, quelle pitié ! Mes fleurs sont précieuses en distillerie pour réaliser des parfums rares. »
Le pissenlit répond avec humour et espièglerie :
« Je comprends votre Majesté ! Fais attention au vent pour qu’il ne vienne pas décoiffer ton beau chignon rose ! Cause toujours, tu n’entameras pas ma bonne humeur. »
La rose s’étrangle de colère.
« Quelle impudence ! »
Mais une grande ombre vient soudain arrêter la diatribe. Un magnifique papillon flambé recouvre la rose de ses ailes et pose ses pattes délicates sur les corolles roses. Il butine en chantonnant.
La rose a enfin un allié et glousse de contentement.
« Bonjour le papillon. Tu te régales ? »
« Oui, c’est délicieux. Ahhh, j’adore le printemps. »
« Je savais bien que j’étais indispensable pour ta petite vie. Tu ne peux pas dire de même pour ce lamentable pissenlit têtu qui ne veut pas reconnaître ma suprématie.
« J’ai entendu votre conversation pendant que je rendais visite à la jonquille. Alors, je confirme que j’aime beaucoup les senteurs de tes pétales. »
La rose triomphe. Mais le gros insecte reprend de sa voix grave et posée.
« J’aime également me faire chatouiller les pattes et les antennes dans la crinière de mon ami le pissenlit. C’est si doux. En fait, vous êtes tous les deux utiles. Donc, ne me demandez pas de choisir entre vous. Chacun a une place dans le jardin, et vos qualités sont irremplaçables. »
Le papillon déploie ses ailes et vient se frotter dans la chevelure du pissenlit puis il s’envole, les pattes et les moustaches couvertes de pollen doré, un sourire gourmand aux lèvres…