Petit Loup découvre le monde
La pluie a cessé et de grosses flaques emplissent les creux des chemins empruntés par Ravna et les louveteaux. Moon en profite pour sauter dans l’eau et s’ébrouer avec force éclaboussures. Un arc-en-ciel s’arrondit à l’horizon.
Les prairies ont reverdi et se couvrent de petites fleurs. Moon ne résiste pas à sa curiosité et se roule dans le tapis coloré, renifle et croque quelques pétales. Plus haut encore, sur le plateau, un tapis rose violacé l’attire, malgré l’interdiction de Ravna, et il attrape une jolie collerette, mais les feuilles du chardon le piquent à travers son pelage. Il rejoint rapidement le reste de la meute qui traverse maintenant la forêt.
Moon est épuisé, les loups marchent depuis le matin. Ils sont partis de la plaine et ont gravi les premiers contreforts des montagnes. Ses pattes le font souffrir, mais il est vaillant et fier d’avoir fait tout ce chemin sans se plaindre.
Enfin, Grand Loup, celui qui les dirige, s’arrête dans une clairière pour un peu de repos. Ravna rassemble les louveteaux et chacun se serre dans la chaleur des autres pour s’endormir.
Mais Grand Loup veille sur les siens, assis sur un petit promontoire. Moon se lève doucement et le rejoint.
« Que fais-tu là? Tu dois dormir et te reposer ! » grogne gentiment Grand Loup.
Moon s’assoit et regarde le paysage qui s’étend devant lui.
Les arbres dénudés ne vont pas tarder à se couvrir de feuilles avec le retour de la douceur. Dans le lointain, les sommets des hautes montagnes sont encore couronnés de neige immaculée.
« Regarde, là-bas, c’est la terre des chamois et des aigles. Il nous faudra encore beaucoup de temps pour l’atteindre. »
« Nous irons si loin ? »
« Oui, mon petit, le territoire des loups est très vaste. »
« Tu es le chef, alors tout cela est à toi ? »
Grand Loup rit de bon cœur : « Non, rien ne m’appartient. Cette terre est aussi celle des autres animaux, les oiseaux, les insectes, les mammifères. Nous la partageons avec tous ceux vivent là. Nous nous déplaçons souvent, et il est important de préserver tout ce qui est autour de nous si nous voulons que nos descendants puissent aussi y prospérer. »
En tournant la tête, Moon voit à présent l’autre vallée.
«En bas, les points que tu aperçois sont les maisons des hommes. Ecoute les bruits de leurs machines. Tu ne dois pas t’en approcher. Ils sont différents de nous. Eux aussi ont besoin de cette terre pour vivre. Mais quelquefois, ils en épuisent les ressources et ils ne nous aiment pas. Ils pourraient te tuer facilement avec leur fusil. »
Les deux loups contournent le promontoire rocheux. Des falaises vertigineuses se dressent et enserrent une rivière.
« Nous avons longé le chemin au bord de l’eau, avant la dernière lune. T’en souviens-tu ? Tu craignais les vautours qui tournoyaient au-dessus de nous » se moque Grand Loup.
« Tu m’as dit qu’ils ne représentaient aucun danger pour moi. » proteste Moon.
En revenant vers la clairière, Moon entend un clapotis harmonieux. Un petit torrent dévale la pente, escalade les pierres moussues, entraîne des glaçons accrochés aux herbes de la rive.
Moon trempe son museau dans l’eau glacée, et lape avec délectation pour étancher sa soif. Il voudrait bien se plonger dans les remous, mais Grand Loup l’en empêche.
« Tu ne pourrais lutter contre le courant, et ton pelage est encore trop fin, tu ne pourras te réchauffer. »
Un bruit discret met leurs sens en éveil. Moon sent une présence, des yeux brillants qui les observent à travers les buissons.Aussitôt Grand Loup l'entraîne vers le promontoire dégagé.
« Qui était-ce ? » s’inquiète Moon.
« Croon et Maar. Ce sont encore de jeunes loups. Leur mère n’a pas survécu à leur naissance. Il faisait trop froid, et elle était fragile. Ils sont été élevés par les autres louves de notre meute. »
« Alors, il n’y a pas de danger pour nous. » soupire Moon, soulagé.
« Tu te trompes. Ils ont l’air doux, mais tu ne dois pas t’y fier. Ils sont souvent agressifs et pourraient te mordre violemment. Ils se disputent car ils voudraient devenir tous les deux chefs de la meute. Leur père était grand et vaillant. J’ai été jeune loup lorsqu’il était le mâle dominant et je l’ai suivi longtemps. Il m’enseignait, et me montrait la vie.»
« Mais que lui est-il arrivé ? »
« Indus, un autre loup solitaire est venu le défier. Il s’est bien battu, mais il a été blessé et il n’a pas pu guérir. Indus, lui non plus n’a pas survécu. Dans le combat, il a chuté de la falaise. Alors, c’est moi qui dirige notre meute maintenant, mais j’ai eu beaucoup de chagrin de perdre celui qui était devenu mon guide. »
Le ton est devenu grave, et Moon n’ose rompre le silence.
Grand Loup reprend :
« Peut-être qu’un jour, Croon et Maar me combattront eux-aussi pour prendre ma place. Mais ils sont rivaux, bien qu’ils soient de la même lignée. Alors pour l’instant c’est un duel entre eux et ils sont violents. »
« Ils sont encore trop jeunes »
« Derrière eux, il y a plusieurs vieux loups qui désirent une place également.»
« Les vieux loups viennent d’un autre territoire ? »
« Non, certains ont grandi ici. Mais ils veulent le pouvoir. C’est pour cela qu’ils restent dans l’ombre. Ils conseillent et poussent Croon et Maar. Si l’un des deux devient chef, ils espèrent ainsi retrouver leur domination. Indus aussi avait été berné, il voulait que notre territoire lui appartienne. Mais il était trop jeune, et s’il avait gagné, il aurait dû faire allégeance aux loups qui l’avaient conseillé. »
Grand Loup esquisse un sourire : « Et un jour, toi aussi tu voudras ma place ? »
« Oh non, je veux rester un petit louveteau qui aime les fleurs. »
« Tu grandiras, et tu changeras d’avis…Mais reste toujours loyal et fier de toi ! »
Petit loup sent le sommeil le gagner. Une petite sieste fera du bien. Il rejoint la clairière et se met en boule avec plaisir. Le hurlement de Grand Loup le rassure, il veille…
Moon regarde vers le ciel et voit les nuages qui s’étirent et composent une fresque grise et blanche. Il interpelle le vent : « Dessine-moi un mouton ! »
Ses yeux se ferment.