Parfum d'enfance
La matinée est encore fraîche et sous mes pieds l’herbe épaisse, juste tondue, baigne mes orteils de sa rosée. Promenade dans le jardin, au calme, avant l’éveil des maisonnées.
Un merle profite lui aussi de l’humidité pour laver ses plumes noires sur la pelouse, sans crainte. Pourtant, il m’a vue, mais il continue tranquillement son bain de gouttelettes. Il s’envole doucement, sans un bruit, avant de me gratifier d’un chant mélodieux.
Si j’allais inspecter les fruitiers ? De nombreuses pommes et des poires se sont formées, les amandes ont déjà une belle robe duveteuse, l’olivier est fleuri. Les pêches de vigne couvrent l’arbuste, mais avant leur maturité, beaucoup seront au sol, arrachées par le vent.
Et les abricots ? Toujours verts mais plus nombreux que je ne le pensais… Alors récolte bientôt ?
Je soupire d’aise. Oh, j’ai oublié de rendre visite aux pruniers « reine-claude » de l’autre côté du jardin. M’empressant de traverser la bordure, je souris de contentement. Après cinq années de repos du vieil arbre, de jolies prunes devraient mûrir.
Soudain, je stoppe net dans mon élan ! Un parfum puissant m’enveloppe, une odeur sucrée, reconnaissable entre toutes…
Je m’assieds sur une marche et me plonge dans mes souvenirs. Ce parfum !...Fermer les yeux, et se retrouver…il y a bien longtemps…
L’école, le tablier rose, le cartable et les cahiers remplis d’une écriture appliquée. La fin de l’année scolaire approche et nous attendons avec impatience le jour de la grande fête. Celle de la « distribution des prix ». Le gymnase a été transformé, et rempli de chaises bien alignées sur lesquelles les parents s’installent. Chaque classe arrive l’une après l’autre et les élèves restent debout au fond de la salle avec l’institutrice, sagement, sans un bruit.
Une estrade a été dressée et le directeur ainsi que des personnalités (totalement inconnues pour moi) ont pris place sur des fauteuils. Chacun retient son souffle.
Un professeur nomme au micro les prix décernés : 1er ou 2e prix de lecture, d’écriture, accessit, prix d’encouragement, et le plus beau, l’excellence.
Mon nom est cité pour un prix de rédaction. Je dois remonter toutes les rangées de parents, gravir les marches branlantes en bois. Très fière, mais impressionnée, je n’ose respirer. Sur l’estrade, une personne « éminente » me remet un joli livre, avec quelques mots de félicitation que j’entends à peine. Je m’incline en remerciant, et je fais le parcours inverse, le cœur battant et la récompense serrée contre moi.
A l’intérieur de l’ouvrage, un diplôme certifie mon résultat. Mon nom est inscrit à la plume, avec des pleins et des déliés.
Pendant les vacances, je pourrai lire, assise à califourchon sur la branche basse du cerisier. Et je pourrai aussi prêter à mes amis ce gros livre aux dessins colorés.
Je vous parle d’un temps que les moins de …. ans (chut) ne peuvent pas connaître… Une époque où les livres étaient rares et précieux. J’aimais en recevoir à noël ou pour mon anniversaire…
Sur le chemin du retour, à pied, nous longions les haies parfumées…Ah, ce parfum d’enfance entêtant…
Le clocher égrène les coups de huit heures. Il est grand temps d’ouvrir les yeux et de cesser de rêver.
Je me lève, l’odeur est toujours présente.
Les troènes sont en fleurs… !
(Je vous réédite cet article qui date de 2017. Cela me permet de vous partager un dernier petit tour dans mon jardin que je vais bientôt quitter... Et les troènes sont en fleurs ! ...)