Pique-nique surprise
Un petit parc aménagé, une table en bois et un repas sous les arbres… Mon esprit s’évade et m’emporte loin en arrière dans mes souvenirs d’enfant…
Un dimanche matin de fin d’été. Le magasin est fermé et nous pouvons profiter de notre journée. Maman s’est levée à l’aube et nous a réveillées tôt. Mais avec ma petite sœur, nous n’avons pas rechigné pour sortir du lit. Hop, nous passons au cabinet de toilette. Un débarbouillage, et nous enfilons notre robe à smocks. Nous grignoterons un morceau de pain de campagne.
Hier soir, j’ai mis mes affaires indispensables dans mon sac : un livre, un chapeau de paille et mon maillot de bain.
Papa est allé chercher la voiture, une Simca break d’un bleu clair lumineux, avec de la publicité plaquée sur la vitre arrière. Et à la vieille épicerie, il a acheté un pain de glace que l’on emmaillote dans un torchon avant de la poser dans la glacière en polystyrène.
Tout est chargé dans le coffre, et nous voilà partis pour la grande aventure. Deux heures de route avant d’atteindre le but de notre voyage : la Méditerranée. Après un moment, maman qui semble plongée dans ses réflexions nous dit : « C’est bizarre, mais j’ai l’impression d’oublier quelque chose d'important ! »
Nous essayons de récapituler ce qu’il fallait emmener : les serviettes de plage, le parasol, tout le matériel, l’appareil photo, etc… Non, tout est bien là. Pourtant, maman n’a pas l’air convaincue.
Enfin, nous nous garons le long des dunes, entre deux voitures. Et nous nous installons tranquillement. Il n’y a pas beaucoup de monde et c’est bien agréable. Quel plaisir de découvrir le sable, les coquillages et les morceaux de bois abandonnés par les vagues, les dunes à escalader.
Nous ouvrons la table, déplions les fauteuils fleuris ou rayés, posons une nappe à carreaux. Et nous sortons tout ce qu’il faut pour nous régaler. D’abord les coquillages ramassés quelques instants auparavant et dont la saveur iodée pique mon palais. Maman a vraiment pensé à tout : des tranches de saucisson du charcutier (et dont le frère élève quelques porcs dans la montagne), un cake aux légumes du jardin, un bon camembert coulant et un pain de campagne croustillant. Et nous trouvons même du sel et au poivre, et un pot de mayonnaise maison pour manger avec le poulet, rôti ce matin même et qui embaumait la cuisine.
Maman blêmit : « Oh mon Dieu, le poulet ! Il est resté dans le four ! ».
Elle a l’air tellement désolée que nous n’osons pas nous plaindre de cet oubli. Papa essaie de la consoler. « Ce n’est pas grave, nous trouverons autre chose ! »
« Mais quoi ? Il n’y a aucun commerçant ici. Nous n’aurons rien pour manger ce soir sur la route du retour. »
Tant pis, pour l’instant, nous dégustons le saucisson, le cake et le fromage. Tout est vraiment délicieux.
Nous étalons nos serviettes pour faire la sieste, en évitant les chardons sauvages. Je lis quelques chapitres de mon précieux livre. Il fait encore chaud.
Maman finit par se dérider, et même rire. Elle vient marcher au bord de l’eau avec nous pendant que nous pataugeons dans les vaguelettes.
Il est l’heure de plier bagages. Tout est rangé, remis dans le coffre et nous prenons la route qui serpente dans les Cévennes avant de retrouver la vallée du Rhône.
Sur le siège arrière, les joues rougies de soleil (et le dos aussi d’ailleurs), les cheveux emmêlés et les pieds encore plein de sable, nous fermons les yeux, bercées par le ronronnement du moteur. Nous n’osons faire du bruit car maman a retrouvé son air soucieux et contrarié. Et il y a de quoi s’inquiéter, car le panier et la glacière sont vides…
Comme d’habitude, nous traversons une ville importante (du moins pour moi, elle est immense puisque j’y ai vu des grands immeubles). Nous traversons le fleuve et patientons dans l’embouteillage du centre, vitres ouvertes pour rafraichir l’intérieur.
Nous rejoignons enfin la nationale, lorsque papa freine brutalement, et se gare sur une sorte de terreplein mal aplani. La voiture tressaute avant de s’immobiliser. Déséquilibrée par la manœuvre je tombe du siège sur le sac posé à mes pieds. Plus de peur que de mal, heureusement.
Maman s’inquiète : « Mais que se passe-t-il ? Il y a un problème ? »
Mais papa arbore un grand sourire, l’ai ravi. « Regardez, j’ai trouvé pour ce soir. »
Un vieux camion est stationné. Sur une grande ardoise planté dans l’herbe, des mots ont été tracés à la craie : Mangez nos bonnes pizzas.
Le monsieur et la dame me semblent au moins aussi âgés que leur véhicule, mais ils sont très souriants et accueillants. Papa demande s’il est possible d’avoir une Reine… La dame s’active, prend de la farine et de l’eau et je vois naître entre ses mains une jolie boule qu’elle étire, étire encore, lance en l’air, rattrape au vol et étale sur une planche… Tout cela me parait bien étrange.
Un peu de coulis de tomate (avec celles que son mari a cultivé), et des bons ingrédients disposés sur le dessus. Ma taille ne me permet pas de tout voir, même en me hissant sur la pointe des pieds. Puis le monsieur ouvre un four, remet quelques buches, avant d’y glisser la belle galette garnie.
Maman leur raconte notre mésaventure liée à son oubli. Et la dame éclate de rire. « Oh, vé, vous avez bien failli avoir le ventre vide. Et les petites, peuchère ! »
La pizza est cuite, maman l’enveloppe dans son torchon à carreaux.
« Là, mes beaux, vous m’en direz des nouvelles ! Et té, voilà, je vous donne 4 pêches du jardin. »
Les kilomètres défilent, la garrigue embaume lorsque nous nous arrêtons dans un chemin. A chacun de nos pas, une nuée de sauterelles s’échappe des touffes de thym. Nos chaussures en toile seront imprégnées longtemps de cette odeur.
Nous ne prenons même pas la peine de sortir la table et les chaises. Une couverture suffira pour nous asseoir sur ce tapis parfumé. Nous mangeons avec appétit la pizza tiède puis les pêches bien mûres dont le jus nous dégouline sur les mains.
La nuit est tombée peu à peu, le ciel rougeoie à travers les arbustes…
Quel magnifique pique-nique !