Rédaction
L’élève est studieux. Il s’installe confortablement devant sa grande feuille blanche. Puis, il lève le nez afin de lire le sujet que son maître a tracé en lettres arrondies sur le grand tableau.
« Décrivez une de vos passions. Qu’elle est-elle ? Que vous apporte-t-elle ? En ferez-vous votre métier lorsque vous serez grand. Associez-nous à vos émotions. » (Emploi des verbes au présent de l’indicatif, vocabulaire approprié, texte de deux pages.)
L’élève réfléchit, attrape son stylo, et se lance.
"Je......."
Il s’arrête. Que va-t-il expliquer ? Que choisir ? Tout se bouscule dans sa tête, il fronce le nez désespérément, mais rien ne vient. Le vide et l’inquiétude envahissent ses pensées.
Il regarde discrètement par-dessus son épaule.
Son amie Anne, qui partage son bureau a déjà commencé. Sa plume légère court sur le papier avec aisance. Les mots lui viennent avec facilité. Elle explique son amour de la musique, les concerts de piano qu’elle donne déjà dans sa famille, accompagnée par son grand frère violoniste.
A sa gauche, Charles, un grand costaud, raconte ses entrainements de football sur la place du village, le soir avec ses copains.
Consciencieusement, l’élève regarde sa feuille blanche, mais aucun idée ne lui parvient, aucune phrase ne s’amorce. L’angoisse monte, il se sent ridicule, le doute l’anéantit. Lui, il aide ses parents à la ferme et n’a pas le loisir d’apprendre les notes de musique, ni de taper dans le ballon après l’école.
Soudain, une énorme ombre assombrit son bureau en bois, plongeant son cahier dans un clair-obscur grisâtre. Le soleil aurait-il disparu ?
Le maître est penché vers lui.
Recroquevillé sur son banc, terrorisé, l’élève retient son souffle.
« N’avez-vous rien à écrire ? »
Tremblotant, penaud, presque inaudible, il articule difficilement.
« Non, maître, moi je ne sais rien faire. »
La voix de l’homme se fait plus douce.
« Pourtant, je vous ai vu maintes fois escalader le mur de pierres de mon jardin pour venir voir ma collection de roses… »
Le visage de l’enfant s’empourpre.
« Mon petit, je sais que vous aimez les observer. »
Timidement, l’élève répond dans un murmure.
« Elles sont si belles… Vous allez me punir, et dire à mes parents que je suis entré chez vous ? »
Le maître sourit.
« Je devrais, n’est-ce pas ? Mais, je n’en ferai rien et cela restera entre nous. Pourtant, maintenant, je vous invite à nous décrire votre intérêt pour les fleurs dans votre rédaction. Appliquez-vous. »
Alors, les yeux brillants de gratitude, l’enfant, de sa plus jolie écriture, exprime sa joie de découvrir les reines du jardin, celles qui se dressent fièrement vers le ciel, ou celles qui préfèrent éclore en gros bouquets éclatants ou encore les autres d’une blancheur virginale mêlées aux tiges de thym odorant. Quelle griserie de respirer lentement leur parfum jusqu’à l’enivrement. Quel ravissement lorsque des insectes se posent sur les pétales de velours, ou se baignent dans le pollen jaune d’or. Quel plaisir d’ouvrir l’herbier de la bibliothèque pour y déchiffrer leur nom latin. Et quel espoir de devenir un jour herboriste.
Lui, le cancre, le rêveur, a fait la plus magnifique des rédactions, il a tracé chaque mot avec tout son cœur.