Enquête dans le verger
Les prémices de l’automne se posent en touches délicates au jardin. La lumière, plus tamisée, réchauffe encore le potager dans la journée. Mais la rosée se dépose en chapelet de perles avant le lever du jour.
Hector Poireau s’ébroue aux premières lueurs de l’aube. Les gouttelettes coulent doucement le long de ses longues feuilles. La douche fraîche lui parait un vrai plaisir après cette nuit interminable. Il n’a pas pu fermer l’œil, trop préoccupé par la plainte déposée la veille au soir par le petit loir du grenier voisin. Il s’agit maintenant d’être attentif au moindre mouvement.
Un bruit le tire de sa torpeur. Un magnifique escargot de Bourgogne passe dans la bordure.
« Bonjour, mon ami. J’ai une question à vous poser. »
Lentement, le limaçon se retourne, et agite (modérément) ses antennes.
« Oh, mon Colonel ! Je pensais que vous dormiez encore. Vous avez l’air bien soucieux, vos tiges sont toutes chiffonnées… »
« Si vous saviez ! Quel problème… Le petit loir est venu me voir, très en colère. Et il me demande d’intervenir. »
« Que se passe-t-il ? »
« Lorsqu’il arrive le soir, en trottinant comme à son habitude, il vient toujours me saluer. Hier pourtant, il était tellement pressé qu’il en a oublié la politesse. »
« Comme c’est désagréable. Je compatis, mais ne vous mettez pas dans un état pareil pour un jeune mal élevé. »
« Oh, je veux bien, pour une fois, tolérer son irrespect. Mais il est parti directement au verger, avant de revenir vers moi, hirsute et agité. Et il s’est permis de m’interpeller de façon bien cavalière, alors qu’il était si négligé. Quel manque de tenue. »
« Cela devait être sérieux alors. Il me semble plus folâtre en général. »
« Certes, c’est très grave. Lorsqu’il arrive pour savourer son dîner, il grimpe dans le pommier. Et il trouve tous les soirs de nombreuses pommes grignotées. Tout l’intérieur du fruit est dégusté. Et le voleur laisse la peau sur la branche. Quelle affaire ! »
« Oui, en effet, je suis bien perplexe. Peut-être puis-je vous aider mon Colonel ? »
Le détective décline la proposition.
« C’est bien gentil de votre part, mais si vous devez aller voir sur place au verger, cela risque de durer ! »
« Alors, je vous laisse vous débrouiller. »
Le gastéropode est un peu vexé, il préfère s’enrouler dans sa coquille.
Hector continue de réfléchir. Le hérisson pourrait bien être son coupable ; il parcourt le jardin à la nuit tombée, l’air de rien ? Non, il est trop bruyant… D’ailleurs, le voilà, bizarre, bizarre, en plein jour… Mais, le soleil décline déjà ? Décidément, il n’a pas vu la journée s’écouler avec tout ça…
« Hello, mon cher, pouvez-vous me dire ce que vous faisiez hier à la même heure ? »
Surpris par le ton inquisiteur, le hérisson fronce son petit nez pointu et se concentre.
« Comme aujourd’hui mon Colonel. Je visite mon domaine et je débusque les limaces. »
L’escargot se recroqueville dans sa maison… Mais la boule de piquants est en grande discussion et ne le voit même pas.
« Avez-vous vu des pommes dévorées ? »
« Oui, il y en a quelques-unes par terre, toutes vides. Même pas un petit morceau de pulpe pour moi. Quel dommage. Heureusement, lorsque le vent se lève, je rencontre un fruit entier. Quelle bonne odeur. »
« Mon ami, ne vous éloignez pas du sujet. Mais, en fait, c’est vrai que vous n’êtes pas capable d’escalader l’arbre. »
Le hérisson a soudain une idée lumineuse.
« Les fourmis ! Je les vois sur le tronc ! »
Enfin, une piste. Et le petit animal, bien aimable, et très fier de lui, se dandine jusqu’au verger pour convoquer les accusées. Une délégation est dépêchée pour l’enquête. Un capitaine et trois jeunes recrues se rangent avec déférence devant Hector qui expose rapidement les motifs de grief du loir.
« Voyons, mon Colonel, je suis un militaire rigoureux et honnête, comme vous. Vous ne pouvez pas me soupçonner. Bien sûr, nous mangeons des pommes, mais uniquement celles qui sont déjà attaquées ou abîmées, un vrai travail de salut public. Mais je surveillerai attentivement mes troupes, et une estafette préviendra toutes nos colonies. Comptez sur moi. Allez, demi-tour, une, deux. »
Mais une petite fourmi reste plantée là, et timidement elle raconte :
« Moi, j’ai entendu du bruit en haut des branches. C’est sûrement une énorme bête. Je l’ai écouté croquer avec ses grosses dents. Et quand elle arrive, elle fait un bruit de moteur. »
Puis, elle s’empresse de rejoindre son groupe sous le regard courroucé de son capitaine.
Enfin, un témoignage de la plus haute importance, et les petites cellules grises s’entrechoquent dans l’esprit du détective. Il passe en revue toutes ses connaissances scientifiques, botaniques et animalières. Et la solution jaillit. Il en est tellement secoué, que ses racines manquent de se soulever…Un peu de calme, il réajuste son plumeau.
La nuit est venue, il est temps de résoudre l'énigme. Bien sagement, et poliment cette fois, le loir s’est assis au potager. Les plantes et tous les animaux sont silencieux. Hector Poireau se racle la gorge, toussote et déclare solennellement :
« Pour régler votre problème, Monsieur le Loir, j’ai fait venir tous les accusés et coupables potentiels. Et mes indices sont primordiaux : c’est une bête qui vole ou grimpe, croque, et fait un bruit de moteur qui ronronne… »
Et il regarde autour de lui, l’air important, pose son regard sur chacun … Personne n’ose respirer.
« Il s’est avéré que l’escargot, le hérisson, et les fourmis sont innocents… Enfin, peut-être ! J’ai donc pensé que le papillon aimait les fruits mûrs, et il vole… »
Le paon du jour est atterré… Hector poursuit :
« Mais il ne fait pas de bruit et ne peut pas percer la peau des pommes. Madame la Pie, vous aussi vous allez dans les arbres et vous êtes bien gourmande… »
« Non mais Hector, mes dents, elles sont où ? » réplique-t-elle, narquoise.
« Effectivement, il manque un élément. Pour le chat aussi d’ailleurs, il ronronne et grimpe …mais préfère les lézards ou les loirs…Ouf, il n’est pas là ce soir ! »
Hector, respire lentement.
« Le coupable est pourtant bien là, parmi nous. L’avez-vous reconnu ? Inutile, mon cher, de vous cacher dans le dahlia rose ou les tournesols… »
Un beau frelon rayé sort la tête de la fleur qu’il butinait et sourit, l’air contrit.
« Mais, Monsieur Poireau, moi aussi j’aime les pommes et tous les fruits et je m’en nourris. Il faut bien que je mange, et que j’approvisionne ma famille. »
« C’est exact ! Monsieur le Loir, votre plainte est rejetée. Vous devrez partager avec les autres animaux, l’arbre ne vous appartient pas. »
La séance est levée… Hector peut enfin dormir sur ses deux feuilles…