Histoire de vie, Adolphe (suite)

Publié le par Nathalie

Histoire de vie, Adolphe  (suite)

Depuis longtemps déjà, la Poudrerie s'est spécialisée dans la fabrication d'explosif, la Tolite, vulgairement appelée « poudre jaune ». Suivant un ordre bien établi, de bâtiments et de leurs spécificités, c'est dans le bâtiment n°104 que la fabrication de cet explosif est effectuée. Ce bâtiment est situé au fond du parc, à près de 3km de l'entrée de la Poudrerie.

Histoire de vie, Adolphe  (suite)

 Il est un peu moins de 16h30, ce lundi 16 novembre, quand soudain on y entend une légère détonation à laquelle succède un début d'incendie. L'alerte est générale, les sirènes appellent à la rescousse. Le personnel en très grand nombre, près de 400 personnes (militaires et civils confondus, ingénieurs et ouvriers mélangés...), se rassemble autour du foyer d'incendie pour tenter de le circonscrire. Un quart d'heure plus tard, à exactement 16h42, c'est l'apocalypse. Une explosion d'une violence inouïe brise toutes les vitres à 30km à la ronde, jusque sur la Canebière de Marseille la terre tremble. Des hommes sont soulevés de terre, projetés à des dizaines de mètres, ensevelis sous les amas de pierres et de boue. Des arbres arrachés, des débris volent de partout, des cris, des hurlements, un ciel de fumée noire. Du bâtiment 104, il ne reste plus qu'un vaste cratère de 30 mètres de diamètres, profond de 4 mètres qui va très vite se remplir d'eau...

Ce jour de novembre 1936 à la poudrerie, on a dénombré 56 morts et près de 170 blessés. Adolphe avait 38ans...

Histoire de vie, Adolphe  (suite)

Une maison rose à demi enfouie sous des tamaris. Des vignes grimpantes qui s'accrochent à la façade, entourent les fenêtres et surplombent le seuil. Des dahlias cachent à moitié le jardin qui descend en pente jusqu'à la route. Un potager oppose ton sur ton, tous les verts des légumes de Provence. La maison d'Adolphe et Albertine était la maison du bonheur. 5ans de différences et mariés depuis 13ans, parents de 3 enfants, Lucienne 12ans, Henriette 10 et Henri 8. Adolphe était un bon ouvrier à la Poudrerie, un de ceux qu'on chargeait des travaux difficiles. Il gagnait un salaire convenable et quelques fois une gratification lui permettait de porter un peu d'argent à la Caisse d’épargne. Certes, la vie avait été un peu dure, mais à force de travail et profitant de la Loi Loucheur, le poudrier avait fait construire sa petite maison rose. En ce mois de novembre 1936, il ne devait plus que 2000francs à l'entrepreneur. Le petit Henri était doué pour la musique, ses parents avaient décidé de l'aider dans sa vocation précoce. Sur les semaines du poudrier, on réservait l'argent pour ses leçons de violon. Lucienne voulait devenir couturière, elle allait être envoyée en apprentissage à Marseille. Des parents heureux par leurs enfants, des enfants heureux par leurs parents.

Ce lundi-là, du 16 novembre, le poudrier avait fini sa journée et il s'était mis à travailler dans son jardin. De chez lui, il entendit la sirène, comme beaucoup d'autres. Mais lui, il sait qu'il lui faut juste 12mn en courant, pour aller de chez lui à l'atelier 104. Si il avait hésité un instant, si il avait attendu de prendre la route avec son voisin, il serait encore heureux entre sa femme et ses enfants. Mais l'explosion se produisit juste 15mn après l'alarme. Parce qu'il répondit spontanément à l'appel au secours de ses camarades. Parce qu'il n'était pas homme à tergiverser en face du devoir, une veuve et 3 enfants pleurent ce jour d'obsèques nationales, dans ce qui fut la maison du bonheur....

 

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Je vous passe sur la déferlante des articles de journaux dans toute la France qui chaque jours ont informé les Français à l'affut de nouvelles sur cette catastrophe.
Le Mémorial de St Etienne, L'Express de Mulhouse, L'Humanité (journal de Paris), Excélsior de Paris, Le Populaire (journal de Paris), La Voix Paysanne, Le Provençal, Le Petit Marseillais, Le Matin, Le Jour, Lyon Républicain, Le Phare (journal de la Loire, de Bretagne et de Vendée), dans l'est le Petit Troyen..........sans oublier les gros journaux parisiens.
La sombre catastrophe de St Chamas a eu un dénouement le vendredi 20 novembre 1936. Les 56 victimes ont reçu les honneurs des funérailles nationales, au cours d'une cérémonie d'une sobre majesté que présidait le chef de l'état Mr Albert Lebrun, entouré de 4 ministres, dont Mr Edouard Daladier de la défense nationale. C'est dans un recueillement impressionnant, en présence d'une foule immense et affligée venue de tous les villages de Provence que les ondes de la radio reliaient à tout le pays attentif, que l'appel des 56 noms a été fait par un poudrier et chaque fois un autre répondait simplement « victime du devoir ». Cela valait bien des phrases.

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Douleur, émotion, secours, soutiens et obsèques nationales n'ont pas enclenché de polémiques sur la conception du bâtiment, le fait d'entreposer résidus et produits finis au même endroit, le manque de matériel de secours, la conduite à tenir en cas d'accident. Malheureusement encore, le 4 avril 1940, une nouvelle catastrophe fit 11 victimes ! Lentement la Poudrerie baissera sa productivité pour fermer définitivement en 1974. Jusqu'à la fin des années 80, l'arsenal de Toulon y gardera quelques ateliers pour y fabriquer des torpilles...

Un peu de tourisme en ce jour contre l'oubli....et surtout donner une belle fin à cette catastrophe humaine.

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3 siècles se sont écoulés et voici que les 135ha de la Poudrerie entament une nouvelle vie. Le site abrite actuellement une faune et une flore exceptionnelle qu'il est nécessaire de protéger. En l'espace de 50ans, ce site industriel s'est mué en véritable réserve naturelle. Un travail, principalement, réalisé par l'homme. Les premières cartes postales montrent un territoire plat sans végétation. Les premiers rideaux d'arbres ont été plantés pour atténuer d'éventuels effets de souffles. La poudrerie, zone militaire, était aussi un lieu de résidence, en particulier pour le directeur (décédé auprès de ses hommes, le 16 novembre 1936). On y trouve alors un jardin à la française et un superbe jardin japonais avec une passerelle en son milieu.

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Un jardin composé suivant la mode du moment, en ramenant des colonies près de 50 espèces exotiques, troène de Chine, bambou, magnolia, plaqueminier de Virginie, Ginko Biloba, séquoia...des espèces qui les pieds dans l'eau et la tête au soleil, ont trouvé une vraie terre d'élection. Entretenues puis abandonnées, elles n'ont cessé de proliférer. Une forêt exotique, unique en Provence, une forêt humide composée d'aulnes glutineux, de frênes, d'érables champêtres, de sycomores, d'ormes..... et au-delà des tamaris qui marquent la limite entre l'eau douce et l'eau salée, on y trouve iris des marais, cresson, orchidées. Le fait que le site soit resté longtemps inaccessible a fait le reste, en silence. Depuis la Tour de la Vigie on peut observer, flamants roses, cygnes, hérons cendrés, canards, foulques, cormorans...
La poudrerie est devenue un fantastique lieu de vie et de promenade, un îlot de nature, qui participe grandement à contrecarrer l'image d'un étang de Berre en perdition, rongé par les industries lourdes et l'urbanisation. La nature aidée par l'homme a su renaître, là où la poudre a tant parlé !!!

Hier, aujourd'hui et demain, des usines voient le jour ici et là! Sous l'influence d'un bizness lucratif, d'une folie de l'homme, d'un besoin surdimensionné, d'une soif de pouvoir... Notre terre est rongée çà et là! Soyons conscients que la Nature s'en sortira la tête haute, maisssssssssssssss pas nous!
Nathalie Désiré

Histoire de vie, Adolphe  (suite)

Pour en savoir plus : Nathalie est une artiste peintre qui prodigue ses conseils dans sa boutique-atelier en Drôme provençale. Photographe émérite, elle publie régulièrement ses clichés et ses petites chroniques. Passionnée de généalogie, elle a recueilli ses histoires familiales qu’elle nous fait vivre avec sa verve habituelle, son entrain et sa bonne humeur. Je la remercie de m’avoir autorisé cette publication pour notre plus grand plaisir.

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M
Très beau texte. Chargé d'émotions. Merci
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M
Un évènement que je ne connaissais pas et dont j'ai lu chaque mot avec une émotion intense. Merci de nous l'avoir faite découvir pour ne pas oublier... Et quelle belle leçon de voir la nature s'épanouir sur ces terres... !
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C
Récit extraordinaire, j'en ai pleuré
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M
Triste et belle histoire.. comme il s'en vit à longueur de siècles : Toulouse, Beyrouth... que va-t-il renaître de leurs cendres ?
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