Conte du Boulanger
Il était une fois…. En Provence….
Le hameau des Limberts est bien minuscule. Après avoir été abandonné pendant de longues années, il se résume maintenant à deux grandes maisons en pierre qui se font face, entourées de champs. Dans l’une d’elle vit Marcel, le boulanger, connu de toute la région.
Il faut dire que le Marcel a beaucoup voyagé lorsqu’il était jeunot, de villages en villages, en faisant tous les métiers qui se présentaient, de maçon à garçon de ferme.
Et un jour, il a rencontré Jeanne qui vivait près du château et toute sa vie en a été changée. Ensemble, ils ont retapé la vieille maison du hameau qui s’écroulait et ils ont remis en fonction le four à pain. Peu à peu, il s’est initié à la boulangerie, et tout le monde sait qu’il fait le meilleur pain de la vallée. Jeanne est lavandière. Elle entretient le linge de tout le personnel du château.
La naissance de leur fils, Milo, a été une grande joie. C’était un magnifique garçon, costaud et éveillé. Puis, le petiot a été bien malade lorsqu'il avait quatre ans. La polio a bien failli l’emporter, la vie a été la plus forte. A force de patience et de courage, il a retrouvé l’usage de ses jambes et marche presque normalement, sans pouvoir courir. Mais il est resté chétif, timide, il a des difficultés pour se servir de son bras gauche, et sa main est restée inerte. Cela ne l’empêche pas d’être un enfant joueur, espiègle, souriant, et il se débrouille bien du haut de ses dix ans.
Peu de temps après, Rose, la sœur de Jeanne est venue avec Edmond pour s’installer près d’eux. C’est ainsi que la deuxième maison a retrouvé une âme elle aussi. Rose réalise de jolis paniers en osier, Edmond cultive le potager et élève des brebis et des poules. L’an dernier, une petite fille est née dans le foyer.
La vie est paisible bien que rude. Point de confort, seulement le nécessaire. Mais les châtelains sont de braves gens qui leur achètent leur production chaque semaine. Rien ne se passe jamais aux Limberts. Et pourtant…
En ce printemps fleuri, Angelo, un pauvre mendiant est arrivé au hameau. Il ne demande rien, simplement qu’on le laisse dormir dans le foin d’une grange. Les moutons sont dans les prés et la bergerie est vide. Alors Edmond lui a laissé de la paille fraîche afin qu’il puisse se reposer.
Angelo est un drôle de bonhomme, doux, souriant. Personne ne sait d’où il vient, ni où il va. Mais le matin au lever du jour, il parcourt les collines et cueille des fleurs qu’il fait sécher et range dans un sac bien mystérieux. On se doute simplement qu’il est originaire d’Italie, à cause de son prénom et son accent. Soleil, ou pluie, il s’enveloppe d’un grand manteau et se protège avec un chapeau à larges bords.
Le petit Milo, vient souvent le rejoindre dans la grange d’Edmond lorsque le soleil est trop chaud pour sortir. Angelo lui raconte la nature, la lune, l’eau et les bienfaits des plantes. Il lui montre comment fabriquer des potions, des décoctions.
Au début, Marcel s’inquiétait un peu, cet Angelo était peut-être un sorcier ou un magicien. Mais Milo semblait si heureux.
« Papa, je suis bien avec lui. Il m’apprend tellement, j’ai l’impression d’avoir moins mal. »
Alors Marcel a donné du pain au mendiant à chaque fournée, et quelquefois un peu de viande lorsqu’il en avait, il lui a parlé de sa « vie d’avant Jeanne » lorsqu’il était sur les routes. Angelo l’écoutait, et ils étaient bien …
« Merci, boulanger. Tu es bon. Et un jour je te rendrai la pareille, je ne t’oublierai pas. »
Marcel ne voit pas bien comment il pourrait lui rendre quoique ce soit, alors que ce pauvre hère n’a rien, à peine une chemise pour se changer, et un vieux pantalon reprisé… et son précieux sac qu’il emporte toujours avec lui.
Et un jour, à la fin de l’été, Angelo est parti comme il était venu, sans faire de bruit, simplement en remerciant les habitants. Depuis son départ, le hameau semble vide et triste… Pourtant, peu à peu, la vie a repris son cours monotone et tranquille.
Jusqu’à ce jour de début décembre. En sortant le pain du four, Marcel a accroché sa pelle qui est tombée sur sa jambe, l’entaillant profondément. Il a fini quand même son travail et sa journée.
Sa nuit a été agitée, et au fil des jours sa douleur a empiré. La plaie n’arrive pas à cicatriser, bien au contraire, toute la jambe est douloureuse et il ne peut plus poser le pied par terre.
La châtelaine a donné un remède pour le soulager, mais rien n’y fait. Il reste dans son lit, grelottant de fièvre. Jeanne est inquiète et ne sait comment faire.
Milo tente d’apaiser son père par des paroles rassurantes. Mais Marcel se met à hurler :
« Si au moins Angelo n’était pas parti, il trouverait des plantes pour me sauver. Mon petit, je sens bien que je vais mourir. »
Tout le monde pleure autour de lui.
Lorsque la nuit tombe doucement, Milo s’aperçoit que la lune brille tout en haut dans le ciel. Il se souvient alors ce que lui disait Angelo :
« Les plantes sont plus actives lors des nuits de pleine lune, elles soignent mieux. »
Alors, le petit prend une grande décision. Il ira les cueillir pour sauver son père. Il attend que sa maman s’endorme, et silencieusement enfile sa pèlerine, prend un sac en toile et un panier en osier et il quitte la maison. Dehors tout est calme, et il hésite. C’est un long voyage qui l’attend, et son cœur se serre. Puis il entend encore la voix d’Angelo :
« Petit, n’aie pas peur. Un jour viendra où il te faudra braver les choses. N’oublie jamais que je serai à tes côtés, il ne t’arrivera rien si tu es décidé. Marche et regarde devant toi, même les animaux savent que tu ne leur veux pas de mal mais que tu es là pour de bonnes raisons. Alors n’aie pas peur. »
Angelo empoigne le panier et le sac et part sur le chemin qui contourne la colline. La nuit l’enveloppe, la lumière de la lune dessine les contours des buissons et des arbres. Il respire vite, ses yeux s’habituent peu à peu à cette obscurité et il marche aussi rapidement que ses jambes malingres lui permettent. Quelquefois les bruits de la nuit le terrorisent, il s’arrête haletant, et dit en tremblant :
« Ne craignez rien, je viens chercher des plantes pour mon père. Laissez-moi tranquille ! »
Et il repart. Bientôt le chemin monte entre les rochers et devient plus caillouteux. Alors il lui faut faire encore plus attention. La forêt a laissé la place aux pâturages d’estive, le vent souffle fort sur le haut de la colline, et il a froid. Mais rien n’entame sa vaillance, il se sent protégé et chargé d’une mission qui décuple ses forces. Lui, le petit, n’a plus peur de rien. Il parle aux animaux invisibles, il demande aux arbres de l’abriter, et aux étoiles de l’éclairer.
Enfin, il atteint son but. Il est tout en haut de la colline, dans la garrigue où les plantes sont les plus sauvages. Alors, il cueille en remerciant pour ce cadeau que la nature lui fait. Il remplit son panier et son sac d’herbes précieuses.
Mais avant de rentrer, il a encore à faire. Il lui faut trouver la source dont Angelo lui a parlé, elle coule doucement au pied du grand pin. En écarquillant les yeux, Milo essaie de distinguer une grande silhouette dans le lointain. Mais il ne voit rien, et se sent désemparé. Il s’assoit quelques instants, se recroquevillant pour se réchauffer un peu. La lune se cache derrière un nuage, tout semble noir à présent, et les larmes jaillissent. Il se sent si petit, si fragile…
Lorsqu’il regarde à nouveau, le ciel est encore enténébré, mais un rayon de lumière jaillit et se pose sur lui, illuminant le grand pin, au pied duquel il a trouvé refuge… La source est juste derrière, et dans sa détresse il n’avait pas remarqué son doux clapotis. Il plonge ses mains dans l’eau glacée, et prend plusieurs pierres blanches. Angelo avait raison, les pierres de lune sont bien là.
Il rit tout seul, debout contre le tronc, criant sa joie et déposant les pierres avec précaution dans son sac. Il ne faut pas les perdre.
Il fait quelques pas avant de stopper net. Il avait oublié un conseil d’Angelo :
« Petit, n’oublie pas de t’agenouiller pour remercier l’univers. Et prend une pierre pour toi, rien que pour toi. Elle sera toujours avec toi dans les moments difficiles. »
Alors il a posé ses genoux dans l’herbe, et chanté sa reconnaissance. Et dans sa main gauche, il a posé sa pierre. De son autre main, il a aidé à refermer un doigt inerte après l’autre, et il a senti la fraîcheur et la douceur de la pierre de lune.
Il est temps de redescendre. Malgré la fatigue, le froid, la peur, les jambes de Milo semblent bien plus alertes. Il va d’un bon pas, ses pieds ont des ailes, il se sent léger comme l’air. Maintenant, il doit retrouver la maison, ne pas se tromper dans les chemins. Le toit pointu du moulin, puis le contour de la grange du meunier se dessinent enfin.
Les premières lueurs de l’aube pointent à l’horizon lorsqu’il reconnait le hameau. Sa maman est dans la cuisine, elle guette son retour depuis le milieu de la nuit. Elle s’est aperçue que son petit lit était vide et froid en allant remettre du bois dans la cheminée. Et depuis, elle est morte d’inquiétude.
Lorsque Milo ouvre la porte, elle est tellement soulagée qu’elle ne peut même pas le gronder, seulement le prendre dans ses bras. Marcel s’agite :
« Boudiou où étais-tu ? Tu nous as fait peur ! Tu n’es pas un peu fada ? »
« Papa, je suis allé te cueillir des plantes pour ta jambe. »
Et tout doucement, Milo explique son aventure. Jeanne et Marcel n’en croient pas leurs oreilles.
« Tu es monté jusqu’à la source des fées, tout là-haut près du cabanon de l’estive ? »
« Oui, regarde papa, je t’ai ramené les pierres de lune. Angelo m’a dit qu’elles pouvaient tout guérir. J’en ai pris une pour ma main aussi.»
Milo pose fièrement les cailloux blancs sur le drap grossier. Marcel est tant ému qu’il ne sait quoi dire.
« Petit, oui, tu es fada. Mais un fada au grand cœur, et je vais guérir, je te le promets. »
Dans la cuisine, Milo jette quelques branchettes dans l’eau chaude. Puis il va chercher d’autres brins séchés qu’Angelo lui avait donnés. Pendant que la décoction infuse, sa maman le réchauffe car ses jambes tremblent de froid.
Enfin, la compresse est prête et il l’applique délicatement sur la jambe meurtrie.
Marcel, brûlant de fièvre, l’attire contre lui pour l’embrasser. Milo se glisse dans les draps, et ivre de fatigue et d’émotion, s’endort dans le creux de son épaule. Marcel ne tarde pas à en faire autant.
Jeanne a surveillé longtemps ses hommes, ravivant le feu silencieusement, raccommodant les habits et les draps. A son réveil, Marcel se sent un peu mieux, et la fièvre l’a enfin quitté. Milo renouvelle les soins plusieurs fois dans la journée.
Et son état s’améliore au fil des heures et des jours…
La veille de Noël, Marcel peut se lever, et il claudique doucement jusqu’à la boulangerie, s’assoit sur le banc en bois près du four. La nuit est encore bien noire, mais il y a déjà du monde qui l’attend avec impatience, et il est accueilli avec des grandes accolades. Edmond a amené du bois et allumé le feu. Le meunier est venu avec son âne, et il porte de grands sacs de farine. Léon et Louis sont montés du village. Rose et Jeanne distribuent des boissons chaudes.
Oh, il est content notre boulanger même s’il n’est pas encore bien vaillant. Il donne ses ordres et tout son petit personnel de la journée s’active pour mélanger la farine et le levain, mettre en forme les grosses miches. Les hommes peuvent enfin cuire la première fournée, pendant que les femmes confectionnent la pâte pour les gâteaux. Toute la matinée, les rires s’élèvent au milieu des recommandations véhémentes du Marcel.
Le midi, tous se régalent avec un des gros pains tout chaud et craquant frotté d’ail, un peu arrosé du vin de Léon. Ils sont tous tellement joyeux qu’ils dansent et chantent au son du tambourin de Rose.
Tous les santons de ce conte sont de la maison Escoffier
Firmin est venu du château pour chercher des grands paniers remplis de pain pour le réveillon, et il a apporté des fruits secs et des calissons offerts par madame la châtelaine pour les remercier.
Et le petit Milo ? Oh peuchère, lui au milieu de tout ce remue-ménage, il est si heureux qu’il court de partout et finit par être couvert de farine… Mais c’est tellement bon.
Le meunier l’a aidé à grimper sur son âne et l’a promené tout autour du hameau.
Et toute son aventure a fait le tour de la région et s’est répandue comme une trainée de poudre. On dit que Madame lui a offert une belle chemise bleue.
Et savez-vous ? En Provence, on raconte que sa main paralysée peut maintenant s’ouvrir depuis qu’il a serré les pierres de lune, et que lorsqu’il la pose sur vous, il sait vous guérir.
Il parait même que le soir de Noël, la lune s’arrête au-dessus du hameau des Limberts pour guider tous ceux qui veulent partager le pain du Marcel.
Mais cela, c’est une autre histoire….
Le soir, le calme est revenu au hameau des Limberts. Marcel est épuisé et se repose. Jeanne s’affaire dans la cuisine. Elle tient à préparer la veillée et pose une nappe blanche sur la table et la vaisselle du dimanche. Un couvert supplémentaire attend, au cas où un mendiant passerait…
Milo a enfilé sa chemise neuve, et il aide son père à s’habiller. Jeanne y tient beaucoup, il faut être propre pour honorer noël. D’ailleurs, elle est pimpante dans sa robe noire et son tablier brodé.
Avant de s’asseoir, Marcel ouvre tout grand la porte.
« Venez, venez voir ! Regardez la lune qui brille. Milo, c’est elle qui t’a guidé. »
« Papa, je vois des yeux, et une bouche qui nous sourit. »
Marcel prend la petite main de Milo, lui ouvre les doigts et la serre dans les siennes.
« Petit, je crois que c’est le visage d’Angelo. »
Et à travers son sourire, une grosse larme roule sur sa joue…