Dessine-moi...

Allongée sur la pelouse tiédie par les premiers soleils du printemps, un carnet de croquis posé devant moi, je réfléchis longuement. Que pourrais-je dessiner ? Il y a tant de jolies choses autour de moi qui mériteraient d’être reproduites… L’inspiration ne vient pas ….
Me serais-je assoupie un instant, bercée par les chants des mésanges ? Il me semble avoir entendu une petite voix douce qui murmurait :
« Dessine-moi ... un animal »
Cela ressemble fort à une phrase bien connue ! Quoique moins précise. Pas de mouton ! … Je me retourne, mais personne dans le jardin.
« Dessine-moi … un animal. »
Cette fois, pas de doute, la sieste ne m’a pas réussi. Je tente une réponse :
« Veux-tu que je te fasse les contours d’un animal de la maison qui viendrait sur tes genoux pour te câliner ? Ou le petit moineau qui se cache dans la haie ? »

« Qu’importe ! Tout est beau…Regarde le soyeux des poils, et le duvet des plumes. J’aime aussi l’animal sauvage, celui qui vit en liberté… »

Sous mes crayons se profile un tigre majestueux au regard perçant.
« Regarde l’infinie variété de ses rayures. Mais ne cherche pas si loin… »
« Préfères-tu une image d’un oiseau planant dans le ciel, d’un insecte butinant, ou d’une biche courant dans la montagne ? »

« Qu’importe, tout est beau ! Regarde la légèreté des antennes du papillon, l’élégance des pattes d’un faon ou la portée des ailes du vautour… Mais, dessine-moi une fleur ! »
Je m’applique à reproduire consciencieusement la reine des jardins. Cette fois, la voix devrait être satisfaite. A moins de tracer un iris à peine éclos dans le talus.

« Regarde le velours du corset de la rose et le dégradé des couleurs … Mais dessine-moi des fleurs plus modestes, tu sais, celles que l’on voit à peine et que l’on piétine… Ou celles qui ornent les branches annonçant le printemps … »
Un peu de gouache, et je remplis ma feuille.

« Regarde la complexité et la disposition des pétales, et le cœur écarlate accueillant les insectes… Dessine-moi un arbre… »

« Regarde la silhouette, élancée ou trapue, les feuilles découpées ou les aiguilles, le tronc lisse ou rugueux. Mais dessine-moi un paysage… »
Je cherche dans mes souvenirs, il y en a tant. Campagne, mer, montagne, tout me semble parfait. La nuit ou le jour ? En été ou en hiver ? J’ébauche quelques croquis.

« Regarde le ciel, les nuages, les champs, les plages, l’horizon… Quelle scène préfères-tu ? »
Je ne sais que répondre, chaque panorama  a tellement de charme.
« Dessine-moi un homme heureux… »
Ce n’est pas dans mes compétences. Alors je gribouille un petit bonhomme.

« Dessine-moi le visage de la sagesse … »
Comment choisir un portrait ? Enfant rêveur ? Ou vieille femme ridée qui connait la vie ?

Mais je l’interromps.
« Qui es-tu, petite voix ?... »
« Qu’importe mon nom ! Lumière du soleil, odeur des fleurs, senteur des prairies, étincelle des étoiles, vibration de l’univers, émotion au plus profond de toi … Je t’en prie dessine-moi … »
Je sens que mon pinceau glisse tout seul sur mon carnet, il recouvre toutes mes illustrations, les englobe, et ponctue la feuille de petits points…
« Regarde, éloigne-toi, et admire … »

J’ai dessiné la beauté du monde !