Pénélope chez le Député
Toc, toc, toc ! Pas le temps de répondre que Pénélope a déjà ouvert la porte.
« Te dérange pas, j’entre ! »
Bon, c’est une façon bien à elle de voir le dérangement…
« Que se passe-t-il ? »
« Si tu savais !!! Figure-toi qu’il me faut interviewer quelqu’un pour mieux connaître sa profession. »
Ouh la la cela m’inquiète, j’espère qu’elle n’a pas pensé à moi. Je n’ai pas le loisir de poser la question, elle continue sans reprendre son souffle :
« J’ai réussi à décrocher un rendez-vous cet après-midi chez le député. »
Je suis impressionnée mais je voudrais avoir des précisions.
« Lequel ? Il y en a beaucoup tu sais. »
« Théodore. »
« Tu l’appelles par son prénom ? »
« Mais non, c’est son nom de famille. Tu connais pas Charles-Maximilien Théodore ? »
« Pas vraiment, non. Il est dans la région ? »
« Je sais pas , je n’ai même pas une photo de lui. C’est une copine à ma mère qui connait sa femme. Alors j’ai l’adresse de sa permanence, c’est déjà çà. Je suis sûre que c’est un magnifique bâtiment, avec un immense bureau pour ses réunions, et lui il doit être vieux, style en costume-cravate avec le ruban bleu-blanc-rouge autour du cou ! »
J’ai des doutes sur son raisonnement.
« Et tu as déjà préparé des questions pour ton entretien ? »
« J’ai un peu regardé son rôle et ce qu’il a fait. T’inquiète, j’assure. Je vais improviser tout au long de notre échange. Et ensuite, je pourrai écrire un long article avec tout ce qu’il m’aura raconté. Tu m’aideras. Mais je voudrais bien obtenir un scoop. Je vais lui tirer les vers du nez à ma façon. Hop, hop, hop, super Pénélope, il n’y verra que du feu. »
Je ne suis pas aussi confiante qu’elle, mais après tout, elle a peut-être raison. Elle fait demi-tour, et avant que j’aie pu lui souhaiter bonne chance, elle a déjà disparu.
Le lendemain, la voici de retour. Je l’aperçois par la fenêtre. Pour une fois, elle marche lentement. Son visage contrarié et déconfit me laisse supposer que les nouvelles ne sont pas excellentes. Je lui propose une tasse de thé qu’elle accepte posément. Enfin, assise dans le fauteuil, elle ouvre la bouche.
« Je suppose que tu veux tout savoir sur mon entrevue du siècle ? »
J’incline légèrement la tête en guise d’assentiment.
« Cela ne s’est pas passé comme tu l’avais prévu ? »
« Ben je suis déçue. Allez, je vais tout t’expliquer, ça me fera du bien »
Sans respirer elle débite comme une mitraillette.
« D’abord, il n’était pas là. Je l’ai attendu dans sa boutique avec sa secrétaire. Mais je voulais pas coucher là-bas. Il y avait un défilé, il devait aller boire du vin, et il avait réunion pour conduire des tracteurs, ou pour signer des dossiers d’un agité et je crois qu’après il allait écouter un discours dans une mairie. Je sais plus, mais je l’ai vu pour manger avec lui dans son bazar.»
Il y avait vraiment de quoi rester perplexe avec son récit.
« Doucement, on va mettre un peu d’ordre dans tout ça, je n’ai absolument rien compris. »
Pénélope s’interrompt enfin. Elle respire un grand coup, puis se pose.
« Je suis désolée, mon charabia est incompréhensible. Quand je suis déçue, les mots se bousculent dans ma tête. »
Entre deux gorgées, elle réfléchit et m’explique que la permanence était un simple rez-de-chaussée en ville, comme un ancien magasin avec une vitrine. Et elle a dû patienter pour y accéder, car une manif barrait la rue.
« Tu te rends compte, j’ai failli me retrouver au milieu des pancartes. »
Après être parvenue à se faufiler, elle avait été reçue par l’adjointe. Le député avait pris plus de temps que prévu pour rencontrer un collectif d’agriculteurs demandant des subventions. Elle se trémousse et glousse doucement.
« Il hésite pas à aller sur le terrain, hein ? Comme il pleuvait, j’ai imaginé qu’il devait être propre avec ses petits mocassins. »
« Et ensuite, au lieu de rentrer directement, il s’était arrêté à la coopérative viticole du village. Dégustation et tout et tout ! Je te dis pas ! Il parait qu’il voulait défendre les vins français ! Tiens, moi je veux bien les aider les vignerons, je pourrais faire un reportage… Et les boulangers aussi d’ailleurs, j’adore le pain frais… Tu crois que je peux mettre çà dans mon texte ? »
Il était vain de chercher à répondre car elle continuait tout en avalant une nouvelle gorgée.
« Il est enfin arrivé, moi je n’en pouvais plus. Lui non plus ! Il m’a dit bonjour, et s’est excusé car il ne pouvait pas me recevoir. Son agenda était trop serré. »
Et elle reprend avec véhémence.
« Non mais, je m’étais pas transformée en potiche dans un coin du couloir pour entendre çà ! Mon sang n’a fait qu’un tour. Et j’ai eu trop de chance. Ses aides sont partis pour préparer la grande salle. Alors, zou, je l’ai suivi dans la cuisine. Enfin, dans la pièce où il fait réchauffer ses repas. »
« Il ne t’a pas mise dehors ? »
« Je crois qu’il ne s’attendait pas à ce que je sois encore dans ses pattes. Le pauvre, il avait pas mangé le midi avec tous ces gens à voir. »
« Alors, il n’est pas si épouvantable que tu le prévoyais ? »
« En fait il est sympa, et c’est même pas un vieux croûton, tu te rends compte ? »
« Il m’a invitée à boire un café dans son bureau perso, oui, oui ! Alors là, je te décris pas l’encombrement, avec des piles de trucs jusque sur les chaises. Dire que ma mère râle parce que j’ai trois livres qui trainent… Du coup, je me suis assise par terre.»
Elle ne manque décidément pas de culot.
« Alors tu as pu l’interroger sur son métier ? »
« Il avait pas assez de temps pour papoter. Et il y a eu un type énervé qui est venu au moins trois fois pour lui dire que la conférence allait commencer… »
« Pas de nouvelle sensationnelle alors ? »
Elle éclate de rire.
« Il est allé chercher un beau gâteau au chocolat. La pâtisserie, c’est son péché mignon et il cuisine le soir en rentrant chez lui pour se détendre. »
« Charles-Maximilien me l’a fait goûter, un vrai régal, miam ! Et il m’a filé sa recette. Çà c’est un vrai scoop ! Super Pénélope ! »