Le voyage de Pénélope
Ce matin, il pleut des cordes et j’en profite pour trier tranquillement mes photos. Quel plaisir de rester au chaud et surtout de ne pas être dérangée aujourd’hui pendant ce travail minutieux de recherche.
Le téléphone sonne, et je ne l’ai pas sous la main pour répondre. Mais où l’ai-je posé ? Mon interlocuteur appelle à nouveau, cela doit être urgent et je ne retrouve pas mon appareil. Après une longue recherche, le voilà qui apparait enfoui entre deux albums.
Je consulte mes messages et je reconnais une voix flûtée. Il y a au moins deux mois que je n’avais pas de nouvelles de Pénélope…
« Coucou, cela fait bien longtemps que je dois te passer un coup de fil. Mais je n’ai pas eu le temps. Il faut absolument que tu viennes me voir pour que je te raconte mon été. Il pleut, alors tu ne dois pas faire grand-chose. En fait je loge en ce moment dans la maison de ma copine Philomène. Je t’envoie l’adresse, ce sera plus facile. Je t’attends cet après-midi pour le café. Je compte sur toi pour m’amener des petits gâteaux .Je suis contente de te voir ! »
Effectivement, je ne faisais absolument rien, cela tombe bien !!!! Décidément, elle n’a pas changé. Ou plutôt si. D’habitude elle déboule dans mon salon.
Peut-être a-t-elle beaucoup de photos à me faire découvrir et elle a trouvé plus pratique que je me déplace. C’est vrai qu’elle avait prévu un grand périple avec une amie, New-York, Acapulco, Miami, Bali, Rome et Paris…
Il ne me reste plus qu’à ranger mes dossiers, et à cuire des biscuits au miel qu’elle adore. Mon repas avalé rapidement, je prends la route sous des trombes d’eau, je peine à trouver la petite impasse dans le village. Je me gare sur la placette. Je sonne et j’attends patiemment. Je suis trempée …
Enfin, Pénélope ouvre la porte et je suis stupéfaite de la trouver appuyée sur des béquilles, une jambe dans le plâtre et un bras en écharpe !
« Entre ! Bouh, tu dégoulines, tu aurais pu prendre un parapluie ! Accroche ta veste pour ne pas tout mouiller… »
Je n’ose lui faire remarquer que je suis déjà bien gentille d’être venue alors que j’étais bien au sec chez moi… Elle claudique difficilement jusqu’au canapé sur lequel elle se laisse glisser.
« Allez, arrive. Regarde, ma copine a préparé la cafetière, tu n’as plus qu’à la mettre en route. Et les tasses sont devant toi. J’ai hâte de goûter ta pâtisserie. »
Je lui tends mon panier et elle me regarde d’un air dépité :
« Et tu veux que j’ouvre çà comment ? Tu n’as pas vu que j’étais éclopée ? »
« Voilà, miss »
Elle trouve quand même une main bien valide pour plonger dans le tas de biscuits !
« Ouah, j’adôôôre ! »
Et elle en déguste un, sans même attendre sa tasse de café…
Je profite qu’elle ait la bouche pleine :
« Tu aurais pu me dire tout à l’heure que tu avais eu un accident. »
« Bon, Je vais tout t’expliquer, c’est une sacrée histoire. Si tu savais ! »
Elle se cale au fond du dossier, pose sa jambe plâtrée sur un tabouret, savoure une gorgée de café, soupire, et se lance :
« Avec ma copine Philomène, nous avions décidé de voyager cet été. Et pour rembourser le prix de nos billets, nous avions prévu d’écrire des reportages et de les proposer à divers magazines touristiques. Cela nous aurait également permis de valider nos stages annuels. »
« Quelle bonne idée. Et vous aviez déjà choisi vos destinations ? »
« Nous n’avons jamais réussi à nous mettre d’accord sur notre parcours. »
« Comment avez-vous fait alors ? »
« Nous avons lancé des fléchettes sur un globe qui tournait… »
« Ah c’est une manière inédite de trouver un itinéraire. Peut-être pourrais-je l’utiliser l’an prochain en trouant une carte de la France ! »
« Ne te moque pas, c’est super efficace, au moins pas de contestation. »
Je pensais qu’il valait quand même avoir un peu de chance dans le lancer pour ne pas se retrouver au beau milieu d’un océan…
« On en a parlé pendant des heures, c’était trop excitant de partir. »
« Oui, pour ça, je ne suis pas inquiète, vous avez dû bien papoter, et refaire le monde avant d’aller le visiter ! »
« Mais tu te rends compte, tu décolles et vroum tu atterris à l’autre bout de la terre… Le plus difficile a été de mettre nos affaires dans des valises. Comment penser à tout ? Le bikini et les palmes, mais aussi l’anorak et les gants… Quand mes parents nous ont laissé à l’aéroport, j’étais tellement chargée que j’en avais plein les bras ! Malgré tout, j’étais comme toujours très élégante, robe estivale, sandales à talons, et chignon. »
Pénélope s’interrompt pour grignoter un biscuit. Et d’un coup, elle s’agite :
« Ouah, j’ai failli oublier. Je veux faire une surprise à ma copine. La pauvre, elle s’occupe de tout depuis quinze jours. J’ai pas pu aller chez ma mère, il y a trop d’escaliers. Alors je me suis installée chez elle, c’est plus pratique. »
Je ne sais pas si son amie a été tout à fait ravie de cette initiative.
« Bon, on va faire une soupe et un gratin pour ce soir. Elle va être contente, et moi aussi. C’est qu’elle n’est pas top comme cuisinière. »
Décidément, la cohabitation doit être plus que sereine …
« C’est surtout toi qui va tout préparer, moi c’est pas possible. Regarde, dans le buffet, il y a tout ce qu’il faut, et les légumes sont sur l’évier. »
J’ai vraiment bien fait de venir, me voilà en train de trier des poireaux, d’éplucher des carottes et des pommes de terre. J’essaie de ramener la conversation sur son départ
« Tu avais pris ton appareil photo aussi ? »
« Évidemment, je ne m’en sépare jamais. Et d’ailleurs c’est à cause de lui que tout s’est compliqué. »
« Il a pris des photos tout seul ? »
« Mais non voyons ! En fait, nous étions très en avance, au moins trois heures devant nous. »
« Tu avais peur de rater le départ ? »
« J’étais tellement pressée de partir que j’ai regardé les billets à l’envers et j’ai lu 6h au lieu de 9h »
« Au moins tu étais sûre d’avoir le temps de trouver ton embarquement. »
« Alors on a été faire quelques achats dans les boutiques. Et on s’est posées devant les vitres, on a regardé les avions, c’est un vrai ballet. »
Cela ne m’indique toujours pas ce qui est arrivé… Mais Pénélope boit son café qui est pratiquement froid, elle croque dans un gâteau avant de reprendre :
« Puis on a discuté avec un groupe de filles qui partaient faire un trek en Amazonie. Et du coup on a oublié l’heure. C’est ma copine qui d’un coup s’en est aperçue, et nous n’étions pas près du bon terminal. Elle a commencé à paniquer mais j’ai attrapé tous les bagages, plus les emplettes du jour, et j’ai couru vers l’escalator. »
Et elle ponctue son histoire en empoignant une béquille qu’elle fait tournoyer au-dessus de ma tête avant qu’elle ne s’abatte au milieu de mes épluchures.
« Rien ne pouvait m’arrêter. Hop, hop, hop, super Pénélope … Philomène a eu du mal à me suivre, je montais les marches à toute vitesse… Et c’est à ce moment là que la catastrophe s’est produite… »
Je suis suspendue à ses lèvres...
(Que va-t-il arriver à notre amie Pénélope ? Vous le découvrirez dans le prochain épisode. Hop,hop,hop !...)