Pénélope chez les vautours

La semaine dernière, j’ai reçu un petit message assez laconique de Pénélope. Je savais qu’elle était partie pour un voyage avec des camarades de sa promotion, elle m’envoyait régulièrement des nouvelles et m’avait annoncé son retour imminent …
« Coucou toi ! Réserve ta journée du 11, nous allons en reportage avec mon groupe et tu viens avec nous ! Le midi ce sera pique-nique partagé,  alors prévois un cake salé et tes petits gâteaux bien sûr pour un bon groupe d’affamés ! Départ à 9h, je serai chez toi à 8h pour le ptit déj … »
La question de ma disponibilité ce jour-là ne se pose pas vraiment pour elle… Allez, je me motive, ses amis sont certainement sympathiques et je vais en apprendre beaucoup sur les fleurs sauvages…
Je prépare mes affaires pour l’escapade, sac à dos, guide de la flore, pharmacie, couverts, sans oublier le repas bien emballé. Et à l’heure prévue, j’entends crisser les pneus sur le gravier. Ouh, elle a l’air en forme.
Pénélope ouvre la porte avant que j’ai eu le loisir de mettre la main sur la poignée, un grand sourire aux lèvres.
« C’est bon pour toi ? Ah, je vois ton sac dans l’entrée… On déjeune et on y va. »
« Oui, bonjour Pénélope… »
Mais elle est déjà en train de servir le café et attaque ses tartines avec appétit. A peine la dernière miette avalée, elle débarrasse la table et je comprends qu’il faut partir.
« Bon, on va prendre ta voiture. Je sens qu’autrement tu vas être stressée pour la journée. C’est pour ça qu’on file de suite, tu conduis  assez lentement… »
Je ne sais pas comment je dois prendre les choses. Mais, en fait, effectivement, je préfère cette solution. Elle attrape son sac et le pose dans le coffre, et un petit panier entre les sièges arrière.
« Tu me guides alors, je ne sais pas où vous avez rendez-vous. Direction l’Auvergne ? »
« Pas du tout, ils sont dans les Baronnies. »
« ??? »
« Ohhhhh, j’ai dû oublier de te donner les détails. Ce n’est pas avec l’association botanique, mais des nouveaux amis que j’ai rencontré lors d’une sortie justement. Des ornithologues super chouettes. Ils veulent m’apprendre à reconnaître les oiseaux pour que je fasse la différence entre un martinet, et une pie. »
Ils vont avoir du boulot !
« Et là, c’est une grande journée d’observation des vautours ! Trop chouette, non. Je vais pouvoir faire un article formidable ! Hop, hop, hop, Super Pénélope !... »
Adieu, la tranquillité des fleurettes, je pressens que ce sera sportif. Après un long trajet le long des petites routes, nous empruntons un sentier pentu qui nous mène à un parking en terre.
« Tiens, c’est bizarre, nous sommes les premières, il n’y a encore personne. Je vais appeler le responsable. »
Tout en chargeant notre matériel, elle téléphone, s’agite puis raccroche avec un air contrarié.
« Ben, je me suis trompée de jour, ou plutôt de mois. C’est bien le 11, en juin, pas en mai ! Tant pis, on y va quand même, zou. On va bien se débrouiller pour les voir ces bestioles et ça doit pas ressembler à des canards… »
Je ne me sens pas vraiment rassurée, mais que faire ? Nous empruntons le petit sentier qui mène à la falaise. Ouf, d’autres naturalistes sont déjà là, avec leurs télescopes, je me sens moins seule au cas où. Je recommande malgré tout à Pénélope de rester un peu silencieuse, du moins dans la mesure du possible.
« Eh, zieute, il y en a au-dessus de nos têtes. C’est vraiment grand comme oiseau.»

Trois magnifiques planeurs nous survolent. Nous trouvons un lieu un peu moins fréquenté et nous nous asseyons. Heureusement que dans mon vide-poche j’ai pu trouver ma petite paire de jumelles. Au moins, j’aurai plus de facilité pour les regarder. Pénélope, a une vue d’aigle ! Et d’un coup, elle se lève, pointe du doigt un endroit en face de nous, et me crie :
« Ouahhh, il y a un zoziau sur le rebord, regarde, l’autre va atterrir.»

Effectivement, un vautour est en position d’approche, les pattes en avant, et il se pose sur le surplomb. Que c’est beau ! Ils sont maintenant tous les deux réunis.

Pénélope les mitraille de photos.
« Tu crois qu’il y a un nid ? »
Et pour mieux s’en rendre compte, elle se penche dangereusement, les pierres roulent sous ses pieds. Je suis terrorisée. Heureusement, un randonneur lui saisit le bras avec force et l’oblige à se reculer tout en rouspétant sur l’inconséquence et l’irresponsabilité de la jeunesse. Pénélope en est rouge de confusion.  Moi, j’aimerai partir et me retrouver en sécurité. Enfin, elle accepte de se poser plus sagement sur le plateau herbeux, non sans retrousser son nez d’un air réprobateur.
« Tu es vraiment froussarde. Bon, j’ai compris, le sport de haut niveau ce n’est pas ton truc. »
Elle me pique mes jumelles, lève la tête et pousse un cri strident. »
« Le vautour nous fonce dessus, planque-toi. » Et elle s’aplatit dans l’herbe.

Je lui fais remarquer qu’il est bien loin et que mes jumelles grossissent bien !!! Elle explose de rire.
« Mince, j’y avais pas pensé ! ….Tiens, au fait, les émotions m’ont donné faim. On va manger. »
Elle ouvre mon sac et prend le cake géant que j’ai cuisiné pour quinze personnes.
« Ah zut, du coup, on a seulement ça, ce sera pas varié… Oh, mais j’ai une bonne idée. »
Elle pose 4 tranches sur mon sac, et s’empare du reste puis disparait derrière le bosquet. La voilà qui revient enfin, après une interminable attente, les bras chargés de victuailles et de boissons.
« Tu as dévalisé une épicerie ? »
« Il doit être bon ton cake, les promeneurs se sont tous jetés dessus. Mais j’ai fait du troc. Pas mal non ? »
Je pense que nous pourrons tenir boutique à notre retour….Et c’est vrai que j’ai bien réussi, le cake est  délicieux. Nous picorons tranquillement une tranche de saucisson, deux radis, une feuille de salade, un bout de sandwiche, un autre de tarte à l’oignon, un couvercle avec trois lentilles …
Je m’apprête à déguster une pomme, récupérée elle aussi .D’un seul coup, Pénélope se lève. Je me dis qu’elle doit être montée sur ressort.
« Viteeeeee ! Il pleut ! »
Des gouttes s’écrasent déjà sur nous. Nous plions bagage, enfilons une veste et redescendons par le sentier caillouteux. La voiture est loin, l’averse est de plus en plus forte, nous ne voyons plus rien. Enfin, nous nous mettons à l’abri, nous sommes complètement trempées et nos affaires également.
Avec ses cheveux qui dégoulinent, Pénélope ressemble à un drôle d’oiseau tombé dans une mare. Mais rien n’entame sa bonne humeur.
«Quelle belle journée. Dis donc, j’ai un affreux doute. Les petits gâteaux ? Ils sont dans une boîte au moins ? Oui, tu y as pensé.»
Je suis fière de moi ! Et elle sort triomphalement une bouteille thermo du panier resté à l’arrière.
« Et, moi j’avais prévu le café bien chaud pour les déguster…  Trop forte, hop, hop, hop, super Pénélope ! »