Chez mémé Nanou
Dans sa maison à la lisière du village, Nanou vit un peu retirée depuis qu’elle est seule et à la retraite. Un beau petit jardin à entretenir, avec un potager, cela lui suffit pour être heureuse. Pourtant, aujourd’hui elle s’agite, file dans sa deudeuche vert pomme chez le maraîcher et le boucher, à l’épicerie…. Comme toutes les semaines pendant l’été, sa fille Sissi et sa petite-fille Lison vont venir passer deux jours avec elle. Ce sont toujours des moments de bonheur partagé. Alors elle achète de quoi cuisiner avec elles, prépare leur chambre. Voilà, tout est prêt !
Mais sa fille lui téléphone peu après, et la conversation est entrecoupée de rires… Nanou conclut :
« Pas de soucis, je m’en occupe, il dormira dans le canapé… Et cela fera de la compagnie à la petite. »
Après avoir raccroché, Nanou s’active encore plus. Elle file chercher Marcel son voisin qui vient lui prêter main forte. Tous les deux, en riant sous cape comme deux ados, ils rangent les draps et des couvertures, déplacent les torchons, empilent les nappes, et font de la place dans la grande armoire, replacent tout et tournent la clé. Ouf, voilà. Marcel rit de bon cœur.
« Il arrive quand ce petiot ? »
« Demain matin avec Sissi. Le pauvre, il est souvent seul. Son papa travaille beaucoup et ne peut pas toujours s’occuper de lui. Et là, une urgence, le papa doit partir je ne sais plus où, Bordeaux ou Tours. Il était bien ennuyé. Sissi a proposé d’emmener Octave ici. Cela lui fera du bien de respirer le bon air de la campagne. »
« Bouh, et avec toi, il ne va pas s’ennuyer… »
Il fait encore bien frais lorsque la voiture se gare devant le portillon du jardin. Lison court embrasser sa mamie Nanou, tellement heureuse de cette journée prometteuse. Sissi lui présente Octave, qui semble un peu intimidé.
« Bonjour mon petit, je te souhaite la bienvenue. Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer, le hameau est tranquille. »
Mais Octave regarde autour de lui, suspicieux et fait une moue.
« C’est çà qui me fait flipper, ça a l’air trop calme, c’est un vrai trou ici ! »
Nanou néglige la remarque, attrape un sac et l’invite à rentrer à la maison pour poser ses affaires. Octave visite les pièces et il semble encore plus décontenancé.
« Ben tu fais quoi toute la journée ? »
« J’ai de quoi m’occuper tu sais. »
Sissi intervient :
« Maman a beaucoup à faire et nous allons l’aider. Allez, on file au jardin, pour cueillir les fruits et les légumes. »
Elle tend un panier à Octave et un à Lison, prend une paire de ciseaux, un sécateur, un couteau. Le potager est une merveille d’odeurs et de couleurs. Vite, avant que le soleil ne soit trop chaud.
Lison explique à Octave comment ramasser la salade et les courgettes, puis prendre les aubergines mûres, tâter les tomates pour qu’elles soient à point, couper des branches de basilic, ou une feuille de laurier, bécher les carottes et les pommes de terre… Cela agace grandement Octave qui n’a jamais vu un légume et doit tout apprendre. Malgré tout il est admiratif des connaissances de sa camarade.
Sissi a rempli son panier de prunes, d’abricots, de quelques pêches. La récolte est appétissante.
Ils ont bien mérité de se désaltérer avec un grand verre de sirop. Ouf !
Nanou a enfilé un tablier à fleurs délavé et sorti un grand plat en terre. Elle découpe des morceaux de viande qu’elle pose dans la poêle chaude pour les saisir.
« Les enfants, nous allons manger un tian ce midi. Lison, lave les légumes. Et toi Octave, épluche moi l’ail et l’oignon.»
« Faudrait d’abord que je sache à quoi ça ressemble. »
Sissi lui donne une planchette à découper, un petit couteau, la gousse d’ail et un bulbe d’oignon. Elle lui montre comment faire.
« Ah, mais ça pue ce truc, ouah en plus ça fait pleurer. »
Il n’est pas content, mais n’ose l’exprimer. Heureusement, on lui propose de faire des tranches de courgette et il s’en sort pas mal. Nanou le félicite.
« Parfait. Aidez-moi à les ranger dans le plat, avec les aubergines et les tomates. Un peu d’épices, le laurier, du sel du poivre, un filet d’huile. Et au four le temps que nous mettions la table pour le repas. »
A l’ombre du grand tilleul, ce sera bien agréable… Le plat est délicieux. Pour le dessert Nanou a cuit un clafoutis.
C’est l’heure de la sieste. Octave demande à Nanou :
« Ok pour me reposer. Tu peux me donner ton code wifi pour mon téléphone ? »
« Le quoi ? »
« Ben, elle est où ta box ? »
« Ma quoi ? »
Octave est soucieux
« Tu n’as pas internet ? C’est une blague ? »
« Non »
« Et la télé ? »
« Non plus. Tu sais, lire me suffit… Il y a une grande bibliothèque et tu peux choisir ce que tu aimes.»
Le gamin regarde Nanou, la détaille des pieds à la tête. Elle semble bien vieille et fragile, un peu arriérée avec son vieux tablier reprisé. Il est désespéré et tourne dans la pièce, s’assoit, se relève…
Lorsque Sissi se lève, elle le trouve absorbé dans la lecture, un sourire aux lèvres…
Le reste de la journée se déroule paisiblement et Octave sort peu à peu de son mutisme. Il découvre les plaisirs de la campagne : se tremper les pieds et s’éclabousser dans le ruisseau, se promener près de la forêt.
Il participe également à la confection de confitures avec les fruits du verger. Pendant la cuisson, il respire la bonne odeur alléchante. En prenant beaucoup de précautions, il remplit un pot avec le liquide brûlant. Ce sera le sien pour offrir à son papa, et il en est très fier.
Le soir, il est affamé et dévore la tourte aux pommes de terre et la salade et les carottes râpées qu’il a lui-même épluchées.
En se couchant dans les draps épais, il regrette de ne pas pouvoir regarder son téléphone. Mais le sommeil le gagne rapidement pour une longue nuit. Lorsqu’Octave ouvre les yeux, il fait déjà grand jour. Il se lève silencieusement pour ne réveiller personne mais toutes les trois sont déjà attablées devant le petit déjeuner campagnard et l’attendent. Il ne demande pas son reste et croque dans les tartines beurrées qu’il surmonte d’une couche de confiture dégoulinant sur ses doigts.
La journée passe vite, entre la promenade à la recherche des sauterelles (qui font très peur à Octave), la réalisation d’un magnifique bouquet de fleurs des champs, la confection d’un cake aux abricots et d’une omelette au bon jambon de pays.
Il est temps de partir ! Nanou embrasse sa fille et Lison, et serre Octave dans ses bras.
« Tiens, ce petit panier est pour toi. Tu vas te régaler ce soir avec ton papa. Tu nous as bien aidées, alors voici la part qui te revient.»
Octave sourit mais une larme embue ses yeux.
« J’ai passé deux belles journées chez toi, au bout du monde. »
Il lui fait de grands gestes de la main lorsque la voiture démarre.
Après leur départ, Nanou est à peine rentrée chez elle qu’elle entend la porte s’ouvrir et le Marcel l’interpelle.
« Alors, ça y est, tu as réussi ? Pas trop dur avec le minot ? »
« Super, comme sur des roulettes. Il a bien profité du bout du monde comme il dit. Et il m’a vraiment prise pour une vieille mémé du siècle dernier. »
Elle enlève son tablier. Marcel éclate de rire.
Hop, ils ouvrent l’armoire, défont les piles de draps, de couvertures, de serviettes et de nappes… Et ils sortent la grande télé, la box, les téléphones, la tablette et l’ordinateur.
« Merci Marcel. Maintenant il faut que je me connecte, je dois avoir des tonnes de mails… Viens en début de soirée demain, on ira faire un tour en vélo et ensuite on prendra l’apéro. Et si tu veux on regardera le match ? J’ai des chips et de la bière.»