Caquetages
Trois petites poulettes caquettent, caquettent, caquettent…
« Venez les copines, on va se dégourdir les pattes, pas question de se coucher comme les poules. On va se rebeller et jouer les vilains petits canards. » Noiraude, la meneuse, est déterminée. Elle piaille facilement et se montre convaincante.
« Oui tu as raison, on en a assez d’être prises pour des dindes ! » Blanchette l’approuve et entraine Brunette, la plus réservée qui ne dit jamais rien.
Dans l’usine à poules, c’est l’effervescence. Toutes les trois ont décidé de se révolter et elles ont mis toute la rangée en émoi. Plus question de pondre à la demande, surtout qu’elles sont un peu âgées déjà. Pas assez de place pour se remuer les ailes et le popotin. Et tellement de bruit, une poule n’y retrouverai pas ses poussins…
Le fermier qui a construit ce bâtiment géant pour élever ses milliers de volailles ne s’attendait pas à une telle révolution. Comment, on lui désobéit ? Il va leur expliquer qui est le chef.
Mais les trois cocottes ont décidé de lui rabattre le caquet. Elles vont lui montrer que ce ne sont pas des poules mouillées. Elles filent entre ses jambes et sortent par la petite porte.
« Oh zut, il fait un froid de canard dehors quand même, j’en ai la chair de poule. »
« Ah c’est malin. Et on va manger quoi ce soir? »
Au loin, le coq s’époumone.
Elles entendent l’éleveur qui hurle ses consignes. La bouche en cul de poule, il essaie d’attraper des volatiles qui s’envolent, au milieu d’un brouhaha invraisemblable, d’une nuée de plumes et des cocoricos du coq qui veut protéger ses amies.
Des voitures arrivent, des hommes en descendent pour lui prêter main forte.
« Ah non, il a appelé les poulets ! Vite, sauvons-nous… »
Le bruit s’est tu dans leur poulailler-usine, le calme est revenu. Toutes seules, dehors, elles sont tristes.
« Nos voisines de dortoir ont dû se faire plumer, et le coq aussi. »
Elles se cachent derrière le petit bosquet, dans un nid de poule. Mais leur escapade ne dure pas. Vite repérées, les récalcitrantes sont attrapées sans ménagement et jetées durement dans une boîte étroite. La nuit est longue et fraîche. Elles se serrent les unes contre les autres. Elles ont faim.
Le lendemain, elles sentent leur prison se lever doucement puis se balancer. Elles sont toujours dans le noir mais au chaud au moins, même si ce n’est pas confortable car elles tressautent et leur caisse vibre. Un bruit métallique régulier finit par les endormir.
De nouveau la cage se soulève lentement, avant d’être placée sur le sol
Un des côtés s’ouvre et quelqu’un s’approche. Elles se tapissent au fond, silencieuses. Mais une main délicate les saisit pour les faire sortir. Elles osent passer la tête, une patte, puis l’autre. Ce qu’elles aperçoivent est bien rassurant, un joli jardin rempli de fleurs.
Quelle bonne maison, des grains et de quoi picorer dans la prairie sous la volière. Mais pas de graines insipides comme d’habitude. Noiraude, la plus dégourdie explore de suite les environs et son instinct prend le dessus. Tiens un ver, c’est bon çà. Et elle commence à picorer, suivie par Blanchette. Brunette n’ose pas, on dirait une poule qui a trouvé un couteau. Leur repas est interrompu par un coq aux plumes colorées.
« Salut les filles, bienvenue à la ferme pédagogique. Ouah, vous êtes mal en point, il va falloir vous remplumer si vous voulez assurer le spectacle. »
« Que voulez-vous dire ? » lui demande Blanchette
Il se gausse : « On voit que vous arrivez de l’élevage, vous ne connaissez rien de la vie. Ici, nous jouons les stars pour les enfants et leurs parents. Ils nous caressent, on se dandine pour se faire admirer, et ils nous offrent des graines. Alors on mange même sans appétit pour leur faire plaisir. Et ils sont émerveillés par notre beauté. Et lorsque je chante, c’est l’extase… Ici je suis comme un coq en pâte !»
Les jours ont passé.Les trois poulettes sont devenues des belles poules dodues qui assurent le show. Elles ont recommencé à pondre tranquillement dans la paille.
Noiraude se pavane comme un paon, Blanchette s’amuse avec les enfants.
Quant à Brunette,elle joue les mères poules avec ses poussins, et depuis quelques semaines, elle tente des cot cot cot discrets.
Et lorsqu’elles sont ensemble, elles caquettent, elles caquettent, elles caquettent. Personne ne s’en plaint, on connait la chanson. « Qui veut avoir des œufs doit supporter le caquetage des poules… »
D’accord, cette histoire ne casse pas trois pattes à un canard.