Enquête dans les bois
Ce matin, il fait vraiment frais dans le jardin. Le vent a soufflé toute la nuit et Hector Poireau se réveille d’humeur maussade. Il a mal dormi, son toupet a été décoiffé par les rafales, sa cravate pend de travers. Et il ne supporte pas d’être ainsi négligé, lui qui est toujours tiré à quatre feuilles !
Un bruit le fait sursauter. Décidément, même pas le temps de finir de se pomponner, voici déjà du monde alors que le jour est à peine levé. Quel est cet importun ? Il reconnait le colonel Crapaud qui sautille vers lui.
«Bonjour mon Colonel. Vous voilà de bien bonne heure, et déjà fort élégant. Vous avez oublié de dormir ? »
« Ma foi, Poireau, je vous rappelle que j’aime assez me promener la nuit. »
« C’est vrai, vous êtes un noctambule. Je préfère pour ma part profiter des bienfaits du soleil plutôt que de trainer sous la lune. Mais je suppose que vous n’êtes pas venu en dehors de vos horaires habituels pour discuter popote. Que vous arrive-t-il ? »
Le crapaud prend une longue inspiration et en baissant le ton, coasse dans un murmure :
« Je crains que la forêt ne soit hantée.»
Poireau se retient de rire, car il observe le crapaud qui n’a pas l’air de plaisanter. Il semble encore plus verdâtre qu’à son habitude.
« Colonel, ne me dites pas que vous avez eu peur ? »
En lissant sa moustache, le crapaud se récrie aussitôt :
« Bien sûr que non, je ne crains personne. Mais quand même, il se passe des phénomènes bien étranges. La nuit, il y a des cris lugubres autour de la clairière et lorsque je me déplace, des frôlements inquiétants me suivent tout le long de ma promenade.»
Il ne semble pas du tout rassuré.
« Tranquillisez-vous, et allez-vous reposer un peu. Je prends l’affaire en main. »
« Merci mon vieil ami, je savais que je pouvais compter sur vous. »
Et il s’éloigne vers son tas de bois afin de faire une bonne sieste. Poireau est perplexe. Comment va-t-il pouvoir résoudre cette énigme ? Il en va de son honneur et de sa réputation.
Sa réflexion est troublée par le petit écureuil qui grimpe agilement dans l’arbre en face de lui. Lorsqu’il le hèle, l’animal descend à toute vitesse.
« Coucou Hector, me voilà, prêt à te servir. »
Le détective le trouve un peu irrespectueux. Comment peut-il l’appeler par son prénom et le tutoyer ainsi ? Mais il a besoin de lui, et trouve donc plus prudent de ne pas lui faire de remarque sur son attitude. Il sait par expérience que le petit rouquin est susceptible.
« Bonjour mon petit. J’ai besoin de votre aide. »
Il lui raconte la visite du colonel et les perturbations dans le petit bois.
« Ouah, çà, c’est trop super. Quel mystère ! Mais je sais déjà qui est le coupable … »
Il prend un air pénétré et murmure :
« C’est un monstre qui se glisse sur les branches et se laisse tomber sur sa proie…. Un boa gigantesque qui peut tous nous avaler en moins de deux ! »
Poireau n’en croit pas ses oreilles
« Mais voyons, le boa ne vit pas dans nos régions ! Où avez-vous pu trouver cette idée ? »
L’écureuil est vraiment déçu. Il pensait faire sensation, et avoue, penaud :
« L’été j’aime bien aller écouter la grand-mère de Louise. Elle lit de jolies histoires au jardin, et moi je me perche dans le figuier au-dessus de leur fauteuil. Je grignote les figues en même temps. Quel plaisir ! »
« Il vaudrait mieux que vous alliez chercher des indices. Collectez tout ce que vous verrez et entendrez. Je vous attends. »
Et hop, l’écureuil a déjà disparu. Hector va enfin pouvoir se poser un peu et tranquillement profiter de la rosée pour se refaire une beauté.
Sa sieste sera de courte durée car le rouquin est de retour rapidement, toujours aussi pressé.
Même dans sa course, il a pris soin de ne pas lâcher le gland qu’il croque entre deux explications, tout en recrachant la coquille, ce qui exaspère Poireau. Il a fait le tour du bois, du grand hêtre jusqu’à la prairie, en n’oubliant pas le chêne centenaire, les ronces, les églantiers, les fougères. Il a interrogé tout le monde, du ver de terre au renard, du sanglier à la tourterelle. Il raconte en s’embrouillant un peu, mélange plusieurs réponses et versions, recommence les explications tout en gigotant, et en mimant ses interlocuteurs. Puis il conclut en agitant sa queue en panache :
« Bref, rien de bien concluant mon capitaine. Tout le monde a entendu les cris et les bruits. Mais ils ont tous un bon alibi, on n’est pas plus avancé. Moi, je crois en fait que c’est une sorcière qui vient la nuit. D’ailleurs, la grand-mère de Louise lui a raconté que pour Halloween elle chevauche son balai magique en poussant des cris déchirants….»
Poireau en a le tournis et il n’écoute plus. Il prend bien soin de remercier puis se plonge dans l’étude de tout ce qui vient de lui être transmis. Il essaie d’abord de mettre de l’ordre, de faire du tri entre ce qui est plausible et ce qui lui semble impossible. Quel imbroglio ! Tous ces témoignages n’ont pas l’air d’avoir de l’importance, pourtant il est persuadé qu’un détail lui échappe. Il finit par s’assoupir doucement mais ses petites cellules vertes continuent le travail. Et lorsqu’il ouvre un œil, un grand sourire l’illumine.
Tout le petit monde du jardin et de la forêt est convoqué à la nuit tombée. Lorsque les animaux sont réunis, Poireau prend la parole solennellement.
« Mes amis, je vous ai fait venir ce soir pour une affaire de la plus haute importance. Le colonel Crapaud m’a confié une enquête à résoudre, car il connait ma détermination, ma finesse d’esprit, et … ma modestie ! Je ne vous cache pas que cela m’a demandé beaucoup de discernement et de concentration. Je vais donc vous livrer maintenant toutes mes observations. En premier lieu, il m’a fallu tenir compte des propos du colonel. »
Se tournant vers l’assemblée, il fixe attentivement le petit hérisson :
« Les frôlements ressentis dans les feuilles mortes pourraient bien être de votre fait ! »
Très gêné, le hérisson répond d’un petit cri aigu et plaintif :
« Mais pourquoi aurai-je fait peur au colonel ? La nuit je circule bien sûr, mais je recherche des escargots et quelques baies sucrées… »
« Il est évident que votre peu de discrétion lors de vos déplacements ne font pas de vous le suspect idéal. Par contre, lors des interrogatoires, il m’a semblé que les champignons avaient donné une information capitale en soulignant d’une part que les bruits semblaient venir de plusieurs endroits en même temps, et que le fantôme pouvait ensuite disparaître silencieusement.»
Le détective marque un long silence, en regardant chaque personne de l’assistance. Aucun n’ose bouger, même pas l’écureuil ! Puis il reprend, en pesant chaque mot :
« Il m’a fallu un moment pour comprendre, qu’il n’y avait pas un coupable, mais plusieurs ! »
Et levant la tête, il redresse fièrement son beau toupet blanc, et apostrophe la famille Hibou postée en rang sur la branche du poirier.
« N’est-ce pas les enfants ? Facile pour vous de voleter puis de vous poser près du colonel discrètement en poussant des hou dramatiques tout en remuant les feuilles mortes ! N’avez-vous pas honte de troubler ainsi le calme de la forêt ? »
« Nous voulions juste nous amuser, nous ne pensions pas faire de mal ! Pardonnez-nous mon Colonel. »
Les petits hiboux n’en mènent pas large, ils baissent la tête sous le regard courroucé de leur papa qui tente de ne pas sourire de cette espièglerie.
Le crapaud, n’est pas très fier de lui malgré tout. Comment a-t-il pu se laisser malmener par ces chenapans, lui le colonel si fin stratège de la dernière guerre de la mare ?
L’écureuil rit bien de la plaisanterie de ses copains, il n’avait rien compris. Mais il ne peut s’empêcher de leur glisser :
« Vous croyez que si vous embrassez le colonel pour vous faire pardonner, il va se transformer en prince charmant ? »
Cette fois le Colonel est furieux et quitte les lieux dignement.
Hector Poireau rajuste sa cravate, lisse ses feuilles, salue majestueusement, très satisfait d’avoir mené à bien cette nouvelle enquête !