Appendicite Aigüe
Quel beau week-end ! Les enfants à la maison, les petits-enfants qui courent partout, des bons repas concoctés simplement avec les produits de saison… Malgré tout ce bonheur, Léontine se sent patraque. Elle a dû trop manger, ce n’était pas raisonnable de reprendre de la tarte aux pommes pour le goûter. Son estomac lui joue des tours. A moins que ce ne soient les intestins qui protestent. Ou le foie ? Bref, là-dedans cela chahute un peu et elle a des douleurs dans le ventre…
Mais le lundi, pas d’amélioration … Zut, il faut que l’indigestion passe, elle a un bon repas prévu chez des amis le mercredi ! Elle ne va quand même pas rater les bouchées à la reine.
Direction la pharmacie. L’employée est toute seule, complètement débordée par la clientèle, le magasin est plein. Enfin, Léontine peut évoquer (très très rapidement) ses symptômes.
« Prenez cette boîte de gélules, et vous verrez, demain vous serez en forme, pas de problème. C’est un remède miracle. »
Ce qui est déjà miraculeux, c’est son prix. Il doit y avoir des paillettes d’or à l’intérieur.
Mardi matin, la situation a empiré. Léontine n’a pas pu fermer l’œil de la nuit .Elle tente de trouver un médecin dans son quartier. C’est une perle rarissime. Plusieurs heures plus tard, enfin l’un d’eux répond ou plutôt son secrétariat. Explications, et la réponse :
« Il faut que je pose la question à un docteur du cabinet, je vous rappelle dès que possible. »
Il faut croire que la mission est impossible, car aucun signe n’arrive.
Mercredi matin, Léontine est pliée en deux. Il ne reste plus qu’une seule solution. Avec difficulté, elle monte dans le bus bondé, et s’accroche à une barre pour ne pas tomber. Tous les sièges sont pris, les travailleurs regardent leur téléphone et aucun ne lève le nez. Quelques arrêts, et voilà la clinique.
Ouf, on va pouvoir l’aider. D’ailleurs, cela va vite, les personnes arrivées avant elle passent au bureau puis s’en vont rapidement. Quelle efficacité ! Hélas, on lui signale que le bureau est en grève, et qu’il lui faut aller au grand hôpital…
C’est loin et aucun bus ne fait la liaison. Courageusement, Léontine marche, en s’arrêtant souvent à cause de sa douleur. La pluie s’invite, quelques gouttes puis une bonne rincée.
La voilà trempée, les cheveux pendants, le pantalon dégoulinant. Elle ressemble à son chien qui sort de la rivière ! Elle s’appuie contre un mur, pose ses mains contre son ventre douloureux. Un jeune homme, la voyant en difficulté l’aborde gentiment.
« Ma pauvre dame, vous êtes en train d’accoucher ? »
Léontine est prise d’un fou rire incompressible et se tord encore plus. Le monsieur ne sait plus comment faire.
« Non, non, je vous assure que non, je n’accouche pas. Je vais à l’hôpital, mais je suis presque arrivée, merci. »
Enfin, la grande porte vitrée s’ouvre et elle va pouvoir être enregistrée et soignée. Euh, après les 80 personnes qui attendent déjà …
Elle trouve un petit siège, entre deux personnes qui portent un masque. Pourvu qu’ils ne soient pas contagieux ! Quelques heures passent, elle essaie de s’assoupir lorsque qu’un homme l’interpelle :
« Oh, mais je vous connais, vous ! Vous êtes la dame qui est coach d’entreprise ? J’ai trop aimé votre intervention chez nous, c’était top, et vous êtes tellement pétillante, joyeuse et active ! »
Ce n’est pas tellement la description qu’elle ferait actuellement.
« C’est dommage qu’on ne puisse pas papoter plus longtemps, mais cela va être mon tour. Cela fait déjà 8h que je suis dans la salle d’à côté. »
Il aura encore bien le temps de lui raconter toute sa vie et elle est longue, avant qu’on ne l’appelle.
Prise de sang pour commencer. Décidément, tout cela pour avoir trop mangé de tarte et de chocolat ! Mais une interne de garde lui donne une autre version. Il s’agit certainement d’une crise d’appendicite. C’est une blague non ?
Les heures passent… Puis l’échographie qui confirme le diagnostic. Opération demain ! Léontine a faim …. Et elle attend, elle attend, elle attend…
Enfin, enfin, tout arrive, à 4h du matin, son nom retentit. C’est à elle. Une gentille infirmière l’accueille. Elle lui décline son identité, adresse, et son état…
« Vous êtes Suisse ? »
« Non, alsacienne, de la plus scholie petite ville de la France de l’extérieur »
« Yohhhh…. Alors vous devriez connaître mon cousin Ben, décorateur de maison ancienne. Et son frère Mark qui lui fournit tous les géraniums pour les balcons…. »
« Euh… »
« Ceux du château là-haut, les jumeaux ! »
« Mais ouiiii, nous avons été en classe ensemble ! »
Elles sont presque devenues des amies ! L’infirmière s’occupe de Léontine activement, déplace une personne, puis deux…
« Allez, je vous installe dans une chambre et vous pourrez voir un médecin demain matin. A cette heure-ci il n’y en a plus, sauf pour les urgences urgentes.»
Elle, ce n’est pas urgent, et elle ne verra personne avant la fin de matinée…Elle erre un peu dans les couloirs, n’ose pas s’éloigner… Elle a toujours faim ! Elle va essayer de dormir pour faire passer le temps.
Sa porte s’ouvre enfin. Bloc opératoire, nom, prénom, et…anesthésie… Avant de sombrer, elle aperçoit des blouses blanches qui s’agitent.
A son réveil, elle a encore plus mal, et encore plus faim… Mais les bouchées à la reine ne sont pas au menu, même pas un bouillon. Le chirurgien fait le tour des chambres dans la soirée. Et il est très content de lui. Il la rassure.
« Tout va bien, l’opération s’est très bien passée. Vous pouvez rentrer chez vous. »
Puis il ajoute, l’air sévère :
« Vous avez eu de la chance. Vous rendez-vous compte que vous n’étiez pas loin d’une péritonite ? Vous avez été bien négligente. Arriver à l’hôpital au milieu de la nuit ! Voyons, vous auriez dû venir plus tôt, dans l’après-midi pour être opérée dans la soirée… »