La Rentrée

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La Rentrée

Depuis plusieurs jours, les feuilles du cerisier jaunissent et tombent doucement sur l’herbe humide de rosée. La lumière est moins éclatante, les rayons du soleil rasent la cime des arbres.
Mon cartable est sagement rangé dans le vestibule, près de mes chaussures brillantes de cirage, et de mon imperméable suspendu à la patère.

Mon cartable ! Pas n’importe lequel…Il est déjà patiné par les années, et bien souvent recousu. Mon père s’en est beaucoup servi pour ranger ses dossiers. Tous les matins, je le voyais partir en emmenant ce cartable en cuir fauve. Mais cet été, la poignée ayant cédé, il a décidé d’en acquérir un nouveau, et  je regrettais déjà ne plus le voir pendu à sa main. Mes parents l’avaient peut-être jeté, et j’en étais attristée.
C’est avec surprise et beaucoup d’émotion que ce précieux objet me fut offert un dimanche, car j’allais entrer à l’école. Je me sentis projetée dans le monde des grands, et dépositaire d’un précieux trésor. Un maroquinier l'avait réparé, et la poignée de cuir foncé m’apparut très élégante.

C’est l’heure de partir. Tout est prêt et je soulève le cartable. Je vacille car il est gros et lourd, rempli de livres et de ma trousse garnie.
La cour de l’école me semble immense, pleine de bruits, de personnes qui circulent pour trouver la bonne file de classe… et aussi d’enfants turbulents petits et grands. Je n’en ai encore jamais vu autant à la fois.

Bien sûr, on m’avait prévenue : « Tu rencontreras beaucoup d’amies, et tu sauras bientôt lire. »
Que c’était tentant, et j’avais appris les lettres de l’alphabet, et les rudiments de la lecture. Mais la réalité me semblait à cet instant bien plus cruelle.  Apeurée, voire terrorisée, je refuse d'intégrer le rang qui m’est désigné, et je m’agrippe à la manche de la veste qui pourrait me protéger. Tant pis pour les amies potentielles, les joies de la lecture et de l’écriture.

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De grosses larmes roulent sur mes joues. L’institutrice, qui me semble gigantesque et menaçante, dit à maman qu’elle voit désemparée : « Je vais m’occuper de votre petite, vous pouvez partir. »
Elle hésite, mais se sent obligée d’obtempérer. On ne discute pas l’autorité. Elle me lâche la main, et s’écarte. Ou plutôt, elle s’enfuit, me laissant seule, effarée et tremblotante, dévisagée par les autres élèves.

Puis, je me sens soulevée, emportée sous le bras de l’institutrice qui m’emmène dans la classe et m’assoit d’un geste ferme au premier rang, juste devant son bureau. Elle se veut rassurante : « Ne bougez pas Mademoiselle, tout ira très bien. Je vais chercher les autres enfants ».
Tout le monde ayant trouvé place, elle se présente, et nous distribue un beau cahier avec notre nom écrit joliment sur la couverture. Nous pouvons sortir nos porte-plumes et nos buvards, et tenter de tracer des courbes et des traits réguliers en trempant notre plume dans l’encrier du bureau.

La matinée fut un enchantement. Je pus enfin accéder à quelques mots dans ce livre rafistolé qui avait servi des générations avant moi et découvrir comment assembler les lettres pour leur donner du sens. Je pourrai sous peu déchiffrer les ouvrages de la bibliothèque, et pourquoi pas, rédiger des histoires.

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Après une récréation animée et joyeuse, nous apprîmes également que la terre était ronde comme une orange  et que nous étions là grâce à Charlemagne !
Lorsque midi sonna, Je sortis  rayonnante, mon tablier et mes doigts maculés de taches bleues, un grand sourire aux lèvres.

Maman m’attendait, très inquiète  près de la porte. Les yeux rougis, elle avait passé une déplorable matinée… Je déposais mon cartable près d’elle, contrite….mais heureuse !

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F
Et, moi, ce cartable.... me rappelle tant de souvenirs....
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E
Tu connais ce cartable comme moi bien sûr ! Il a tant transporté de choses. Il est encore plein de photos...Et j'ai eu beaucoup d'émotion pour le sortir du coin où il dormait...
M
Quels souvenirs importants à conserver... Merci de nous les avoir fait partager et merci à ton institutrice de t'avoir appris à écrire pour aujourd'hui te permettre de tenir ce joli blog... !
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E
Oui, je ne souvenais pas en fait complètement de cette rentrée. Mais maman me l'a raconté plusieurs fois... Elle a dû être bien plus marquée que moi ! Les enfants oublient vite lorsque les belles choses effacent les larmes