Conversation avec une Pie bavarde

Publié le par Eve

Conversation avec une Pie bavarde

Un matin, au réveil, tranquillement je m’installe au jardin pour boire une tasse de thé. La rosée parsème l’herbe. Elle sent l’humidité, une odeur qui révèle toutes les senteurs de l’aube à l’instant où quelques rayons de soleil transpercent les nuages. Que c’est agréable de déguster une boisson chaude dans le calme avant que le village ne s’éveille…
Calme ? Voici que ma dégustation méditative est perturbée par les cris vigoureux d’une pie qui jacasse avec vigueur.  Je réagis intérieurement en pestant contre l’intruse bruyante. L’incroyable se produit alors. Elle se tait, s’envole doucement puis vint se poser devant moi.

« Est-ce que je te dérange ? » me demande-t-elle avec un accent gouailleur et un sourire en coin.
« Un peu » dois-je lui avouer, penaude.
« Alors je vais te laisser tranquille. Et j’irai faire mes vocalises dans le champ avant de revenir. »
« Non, reste. C’est moi qui exagère, le jardin t’appartient aussi »
Elle me regarde, dubitative.
« Bien sûr que non ! Le jardin n’est pas à moi. Ni à personne d’ailleurs. Comment pourrait-on se l’approprier alors que nous sommes si nombreux à l’habiter et à le partager ? »
Son regard est un peu désapprobateur. Elle continue au cas où je n’aurais pas bien saisi ses propos.
« Si tu observes bien, il y a des milliers de plantes, d’animaux, et de minéraux. Lève le nez. Au-dessus de nous une mésange nous domine. Et un moineau aussi. Il est posé sur la table et il boulotte la miette de pain que j’avais mise de côté. D’ailleurs il ne pensait même pas que je l’avais vu, hein l’effronté ?  » ajoute-t-elle, narquoise.

Conversation avec une Pie bavardeConversation avec une Pie bavarde

« Sans compter tous ceux qui sont sous mes pattes, dans la terre. Il y a plein de copains aussi cachés sous les feuilles … »
« ??? »
« Bon, je l’avoue certains copains finissent dans mon bec. Mais seulement pour me nourrir et donner à becqueter à mes petits. Pas plus, aucun gâchis. C’est pas comme les gens de ton espèce… »
Je tente de me justifier.
« Moi je fais attention aussi. Tous mes déchets vont au compost pour nourrir la terre et l’enrichir. »
Soupçonneuse, elle réplique :
« Et tu crois que je ne vois pas les sacs que tu jettes dans ce que vous appelez la poubelle ? Que de trucs inutiles qu’on va retrouver dans les océans et dans le ventre de mes amis les goélands, et de mes copines les tortues ! »
Je suis stupéfaite
« Mais tu connais l’océan ? Tu ne migres pas pourtant, je te vois toute l’année ici. »
« Cela ne m’empêche pas d’avoir des nouvelles de tous ceux qui font le voyage. Ils me racontent à leur retour, et ils sont en colère, la situation n’est pas brillante. Pas de quoi être fière… »
Je me défends
« Alors puisque tu sais tout, tu as bien vu que je protège la Nature. »
Elle éclate de rire, ou plutôt  elle cascade d’un jacassement discordant
« C’est quoi ça la Nature ? »
« Tu te moques de moi ! La Nature, c’est tout ce qui nous entoure... »
« Absolument stupide comme théorie. »
Elle commence à m’agacer, cette agasse … Soudain, s’approchant de moi, elle me parle doucement, presque avec précaution, ou comme à un enfant  qui n’a rien compris.
« La Nature, comme tu l’appelles n’existe pas. C’est hélas ce que croit votre race. Vois-tu ma petite, il y a seulement l’Univers. Et sur notre Terre, Je suis la Nature ! L’escargot est la Nature ! L’olivier est la Nature ! La rose est la Nature ! Et toi aussi tu es la Nature ! Tu en es une parcelle parce que nous sommes tous semblables, nos cellules sont similaires, nous avons les mêmes besoins et les mêmes fonctions et nous communiquons tous même si nos moyens différent. Tu te croyais peut-être unique ? »
Devant ma mine abasourdie, elle continue
« Tu n’as qu’à nous regarder tous les deux. Peu de choses nous différencient. Nous pouvons nous déplacer, discuter. Nous devons nous nourrir, digérer, nous nettoyer… Et nous réfléchissons, nous sommes capables de bienveillance et d’émotions… »

Conversation avec une Pie bavarde

Je la sens un peu taquine maintenant :
« Il est évident que j’ai d’indéniables avantages, mes plumes changent de couleur, du noir au bleu ou vert… Les tiennes manquent un peu de tenue, tes trois  poils te donnent l’allure d’un moineau tombé dans la mare… »
Devant mon regard courroucé, elle ricane.
« Tu vois, tu n’as pas meilleur caractère que moi ! Allez, ne te fâche pas, je plaisantais. Malgré tes grandes pattes tu es assez élégante… Je te laisse. N’oublie pas ce que je viens de te dire, c’est  essentiel. Et profite de ce moment pour admirer les roses à peine écloses, l’abeille qui butine et le papillon sur les boutons d’or.»

Conversation avec une Pie bavarde
Conversation avec une Pie bavarde
Conversation avec une Pie bavarde

Elle s’apprête à s’envoler, mais se retourne et me glisse gentiment
« Belle amie, prends soin de toi, petite parcelle de Nature. »

Je me sens pousser des ailes

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