La Gazette de Pénélope
Depuis quelques mois, Pénélope est en voyage. Mais elle a la gentillesse de me donner des nouvelles. Un stage est nécessaire pour valider son année d’études de journalisme et elle compte bien en profiter pour revenir dans la région. Sa famille et ses amis lui manquent. J’attends donc un appel de sa part, car elle viendra certainement me voir.
La connaissant, je m’organise pour acheter les ingrédients nécessaires à la réalisation de mes sablés. Et c’est en rentrant que j’aperçois son message. Assez bref, ce qui est étonnant.
« Coucou, je suis rentrée. Trop contente, je travaille pour la Gazette. Envoie-moi tes recettes des petits sablés et du cake pour le cuisinier. »
Je reste dubitative… Ecrit-elle des articles pour la rubrique gastronomique ? Mais j’obtempère et lui fournit ce qu’elle demande en espérant en savoir plus prochainement. Ce qui ne tarde pas ! Dès le lendemain, mon téléphone sonne.
« Hello, c’est moi. Ça va toi ? »
« Bonjour Pénél…. »
Comme d’habitude, pas le temps de finir ma phrase
« Je suis sure que tu voulais avoir de mes nouvelles, ça fait longtemps hein que je suis partie hein? Tu devais languir de me retrouver ! Justement, ton attente va se terminer, on va se voir, c’est super trop chouette.»
Je tente de lui répondre, en vain. Elle continue sur sa lancée.
« Un jour, je te raconterai mes péripéties et mes aventures. Mais là, c’est urgent, j’ai besoin de toi. Monsieur Delacampagne m’a donné un poste temporaire dans sa Gazette. * »
« Je remplace Ginette pendant quelques semaines, celle qui interviewe les personnes du village pour raconter leur enfance. J’ai pris une matinée pour relire ses articles et je trouve que ça manque de tonus dans leur journal. Je vais dépoussiérer et rajeunir la rubrique. J’ai une idée absolument géniale, mais tu sauras plus tard. Je te laisse, je bosse moi, et tu vas voir ce que tu vas voir. Le top ! Hop,hop, hop, Super Pénélope ! »
Et clac, elle a raccroché… … Effectivement, mais elle n’a pas perdu sa vivacité et son élocution ! Je me demande si elle respire. Bon, je n’ai toujours pas compris pourquoi elle avait besoin de moi, ni de mes recettes.
Cela ne traîne pas. Une semaine plus tard, un sms arrive de sa part.
« J’anime un atelier « Histoire » à la Bastide des Lavandes. Amène un bloc-notes et ton stylo. Mercredi à 15h. Ne sois pas en retard, il y a de quoi faire. »
Drôle d’invitation. Je suppose que je n’ai pas le choix de la réponse. Je déplace donc deux rendez-vous pour me libérer le jour prévu. Malgré mes questionnements, je suis contente de revoir la jeune femme. Pendant ou après son animation, nous pourrons certainement papoter.
Je me documente un peu sur le site de la Bastide. C’est une résidence pour les retraités. Sur les photos, on voit des personnes en train de dessiner, de lire ou de se relaxer calmement.
Bien avant l’heure dite pour ne pas être en retard, j’entre et j’aperçois beaucoup de monde dans la grande salle.
Heureusement, la directrice de l’établissement, Madame Lafleur, s’empresse de venir vers moi. Je la sens un peu nerveuse.
« Bonjour, vous êtes la blogueuse de PPP, l’amie de notre journaliste ? Elle nous a parlé de vous. C’est gentil de venir ainsi pour animer l’atelier. »
« Pouvez-vous me dire exactement ce dont il s’agit ? Je n’ai pas eu vraiment d’explications ».
« A la base, j’ai été contactée par la Gazette pour un atelier d’écriture afin que les résidents puissent évoquer certains de leurs souvenirs d’enfance ou de jeunesse. Ils ont écrit des anecdotes et les ont lues devant tout le monde. C’était bien. »
« Mais Pénélope n’a pas l’air satisfaite, elle m’a avertie qu’elle allait changer la façon d’aborder le sujet. Je ne sais pas ce qui va se passer. Bon courage ! Après, restez avec nous pour le goûter. Le cuisinier a préparé des gâteaux avec vos recettes personnelles. »
Pénélope surgit avec un « Coucou » tonitruant et ne prend même pas la peine de m’embrasser. Elle m’entraine vigoureusement jusqu’à une table ou une vingtaine de participants m’accueillent avec impatience et m’assoit sans ménagement sur un tabouret.
« On a déjà commencé. J’étais en avance. Ecris tout ce qu’on te raconte et ensuite je m’occupe du reste.»
J’enlève mon manteau rapidement et attrape mon carnet. Et j’essaie de prendre en notes ce que j’entends. Pénélope est debout, elle fait le tour de l’assistance, incitant gentiment chacun à parler pour évoquer brièvement un souvenir agréable ou marquant. Pour l’instant aucun problème.Et soudain, Pénélope se redresse, se place au centre et s’exclame :
« Noonnnn, c’est sympa tout ça mais est-ce que vous vous rendez compte que les histoires de cartable, de prof, de moutons, de flirt et de billes ça va pas passionner les lecteurs de la Gazette ? Il va falloir mettre du piquant là-dedans, trouver de quoi les attirer. »
Jean-Charles intervient :
« Moi j’ai été agriculteur toute ma vie, alors …. »
« Ben inventez ! Faites un effort ! Vous avez pu être éleveur et le soir agent secret, détective ou dealer… Avec votre chien vous connaissiez toutes les caches de la campagne pour les contrebandiers. »
Elle s’adresse à Perrine, la gentille institutrice :
« Et vous, pourquoi pas justicière pour défendre les orphelins avec Marc ? »
« Nous nous connaissons seulement depuis que nous sommes ici ! »
« On s’en fiche, les lecteurs ne le savent pas ! »
Lucienne, qui parle rarement se hasarde à remarquer qu’elle n’a rien eu de spécial dans sa vie, elle est restée secrétaire dans la même entreprise et célibataire…
« Oh, mais vous avez certainement eu plein d’amants, ou alors vous disputiez des courses de motos, ah c’est super ! »
Il s’ensuit un énorme brouhaha et tous parlent en même temps et s’amusent comme des enfants à créer des aventures extraordinaires, extravagantes, abracadabrantes. Madame Lafleur n’avait jamais rien vu de pareil. Tous ses pensionnaires avec les yeux brillants, tellement heureux, mimant des situations burlesques, se prenant pour des chanteurs, acteurs … Et le rire de Pénélope, en cascade, qui perce les conversations… Elle se démène, elle est partout, elle encourage…
Les petits gâteaux sont servis au milieu du chaos et ramènent un peu de calme. Tous sont épuisés…
Pénélope vient s’assoir près de moi, ou plus exactement, elle se laisse tomber sur la chaise.
« T’as vu, je vais pouvoir pondre plusieurs articles croustillants pour la Gazette. Monsieur Delacampagne va être content. File-moi ton gribouillis. C’est mal écrit dis donc, tu aurais pu t’appliquer un peu pour que je puisse te relire. »
Et devant mes yeux courroucés, elle explose de rire.
« Toujours soupe au lait ! C’est vraiment sympa qu’on ait pu passer l’après-midi ensemble ! »
Ensemble, c’est une façon de voir … Et elle plonge la main dans le plat de sablés posé à proximité. Elle n’a pas changé, me voilà pleinement rassurée ….
* voir l’article « Le scoop de Pénélope » :
https://www.pensees-polychromes.com/2021/04/le-scoop-de-penelope.html