Février en folie
Monsieur Février est dans tous ses états, ou plutôt dans une sombre humeur ce qui est bien rare chez lui. Décembre a bien de la chance lui, avec Noël à préparer, les santons, les chants, le réveillon. Au moins les gens sont occupés. Janvier se voit honoré par des rois, excusez du peu, et des galettes craquantes. Son copain Mars, ce veinard accueille le printemps et même quelquefois Pâques.
Oui, mais lui, que lui reste-t-il ? Et il pleure et sanglote bruyamment et se secoue sur la terre qui reçoit une belle trombe d’eau. Car ce coquin ne fait pas les choses à moitié … Si encore, il modérait son extravagance. Mais non, un coup de tête, un énorme chagrin. Et les fleuves débordent de ses larmes incontrôlées, les quais disparaissent, les arbres prennent des bains de pied, et les cygnes nagent à contre-courant.
Enfin, Février se calme et entrevoit les résultats de ses pleurnicheries.
« Oh zut, j’ai tout mouillé, il faudrait un petit peu sécher tout cela. »
Cette fois, il nous envoie une belle farandole de vent, une tarentelle de bourrasques qui arrachent tout sur leur passage, un french cancan de tornade qui retourne les parapluies, une java de sirocco qui jaunit le ciel avant de finir par un mistral à écorner les bœufs.
« J’y ai été peut-être un peu fort quand même… »
Monsieur Février est frivole, et il aime la fantaisie. En y réfléchissant, son ami Janvier est trop sérieux. Lui, il préfère faire des bonds et des entrechats, et un grand écart lui parait une bonne façon d’éviter la monotonie…
D’ailleurs, il se sent impatient de se réchauffer un peu après cette promenade musclée. Que pourrait-il bien créer de nouveau ? Quelques nuages rangés comme un troupeau de moutons, amusant, non ? Quoique, il trouve que cela ressemble à des dunes dans un désert ou à la plage lorsque la mer s’est retirée à l’horizon.
Puis, sur un coup de tête, il laisse passer les rayons du soleil brûlant, peint un ciel turquoise.
Le cœur en joie, il bat la mesure pour la symphonie et le ballet des oiseaux. Et d’une cabriole, il allume les bouquets de mimosa, parsème des primevères sur la pelouse, ouvre les jonquilles d’or et les narcisses odorants.
Il est assez fier de lui en fin de compte, mais la mascarade est finie. Monsieur Février est encore en hiver, et mars le lui fait remarquer !
Bon, du brouillard fera l’affaire, transformant en quelques minutes le paysage en noir et blanc aux contours indécis.
Non, non, non !
Ce n’est pas suffisant pour satisfaire son caprice. Et dans un sursaut primesautier, il refroidit la température, envoie valser des flocons ouatés et recouvre tout d’un blanc manteau moelleux. Par ci, par-là, une petite gigue de blizzard, une polka de givre. Que c’est beau !
Epuisé par toutes ces aventures, et toujours fantasque, il décide de ne pas s’étirer jusqu’au trente. Pourquoi ferait-il comme tous les autres mois ? Monsieur Février se veut unique, et particulier, il danse le tango météo entre hiver et printemps et joue sa partition à sa façon…
Mais avant de disparaître, il souhaite terminer son œuvre. Il couvre des arbustes de délicates fleurs roses, et les amandiers de pétales prometteurs, borde les chemins de bulbes étoilés.
Tenant son chapeau à la main, il salue Mars qui va prendre le relai. Et se retournant, toujours facétieux, il entrouvre en riant son grand manteau sous lequel il cache des petites pâquerettes qu’il a gardé bien au chaud et qu’il confie à son ami.
« Tiens, à toi de jouer maintenant, tout est prêt pour le printemps. »
Et dans un grand éclat de soleil, le sourire aux lèvres, il s’éclipse dans une perle de rosée.